Après des études d'arts plastiques, Éric Vigner intègre le Conservatoire national supérieur d'Art dramatique de Paris. En 1990, il crée avec sa compagnie, la Compagnie Suzanne M., le spectacle fondateur de sa démarche, La Maison d'os de Roland Dubillard dans une usine désaffectée à Issy-les-Moulineaux, suivi d'une création collective, Le Régiment de Sambre et Meuse. En 1993, il rencontre l'œuvre de Marguerite Duras à travers La Pluie d'été qu'il met en scène au Conservatoire, travail qui donne lieu à une tournée internationale et à un film.
Après une série de mises en scène d'auteurs contemporains – Harms, Sarraute, Audureau, Motton –, il est nommé directeur du CDDB-Théâtre de Lorient en 1995. Il travaille successivement sur Corneille, Hugo, Racine et Molière en continuant son compagnonnage avec Duras, dont sa mise en scène de Savannah Bay signe l'entrée de l'auteur au répertoire de la Comédie-Française.
En 2004, il crée à Séoul avec les acteurs du Théâtre national de Corée Le Bourgeois gentilhomme, repris en tournée en France en 2006.
La singularité d'Éric Vigner tient tout autant dans le choix des auteurs qu'il a voulu faire entendre – tous inscrits dans des recherches stylistiques puissantes – que dans le désir de redonner à l'esthétique toute la place qui lui revient dans la pratique théâtrale contemporaine.
Au Festival d'Avignon, Éric Vigner a déjà présenté en 1996 Brancusi contre États-Unis, un procès historique,1928.
Marguerite Duras naît dans l'Indochine française en 1914. À 18 ans, elle arrive en France et se consacre très vite à l'écriture, réalisant une œuvre considérable de romans, pièces de théâtre, scénarios de film, articles divers. Inventrice d'un style narratif qui tente de faire entendre la complexité de l'être humain face à l'amour, à la mort, au désir, à l'enfance trahie, elle se met au centre même de son œuvre qu'elle construit et déconstruit sans cesse.
Dix ans après sa mort en mars 1996, elle apparaît aujourd'hui comme l'un des plus grands auteurs du xxe siècle, jouissant d'une reconnaissance internationale.
D'Un barrage contre le Pacifique à L'Amant en passant par La Douleur, c'est une œuvre parfois insolente, dérangeante mais toujours percutante qui se construit. Ne vivant que pour écrire, elle s'inscrivit cependant toujours dans le monde qui l'entourait, s'engageant dans les combats qu'elle estimait nécessaires.
C'est à un voyage dans l'écriture de Marguerite Duras que nous invite Éric Vigner à travers deux textes emblématiques de l'auteur, un voyage qui est l'aboutissement d'une longue histoire. Lorsqu'il présente La Pluie d'été au Conservatoire national supérieur d'Art dramatique à Paris en 1993, le jeune metteur en scène rencontre Marguerite Duras qui, heureuse de ce travail, lui donne en cadeau l'autorisation de monter au théâtre le scénario qu'elle a écrit en 1960 pour Alain Resnais, Hiroshima mon amour. De cette fidélité réciproque naît le désir de présenter ensemble les deux opus durassiens qui ont tous deux à voir avec le cinéma.
Entre l'histoire de cet enfant, Ernesto, qui ne veut pas aller à l'école « parce qu'à l'école on m'apprend des choses que je ne sais pas » et l'histoire de cette femme qui se rend à Hiroshima après la fin de la Seconde Guerre mondiale, ces pages comptent parmi les plus belles de l'écrivain, des pages qui se répondent entre elles, comme deux épisodes d'une seule et même œuvre.
Un projet de théâtre tout entier construit autour de l'« intime », que Duras expose et transpose , et du « spirituel », à travers Ernesto qui découvre « l'inexistence de Dieu » et Hiroshima l'apocalyptique. Cette nouvelle adaptation tisse un lien d'une œuvre à l'autre, d'une écriture à l'autre, car c'est bien d'écriture dont il s'agit. Celle de Duras, qui entraîne celle de Vigner, lequel s'appuie sur celle des graphistes M/M, dans une scénographie qui permet de s'immerger dans la parole fascinante de l'auteur, d'en suivre les tours et les détours. Ces confrontations à l'œuvre de l'autre trouvent leur écho dans la rencontre entre « Elle », la Française de Nevers, tondue en 1945, et « Lui », le Japonais qui a survécu au bombardement sur Hiroshima, et qui sera interprété par le célèbre comédien japonais Atsuro Watabe. Il n'y a plus d'amour possible entre eux, mais ces êtres sortis d'aventures exceptionnelles ont encore la possibilité de vivre le désir, de dialoguer même imparfaitement.
Il y a en partage dans les deux œuvres de l'étrangeté et du mystère, des tourments, des impuissances, du désir et des désirs et, au centre, la question de l'existence de Dieu – en somme, tous les questionnements essentiels de l'homme écrits dans une langue unique, une langue du doute permanent qui ne refuse jamais l'émotion des sentiments.
Jean-François Perrier
Distribution
adaptation et mise en scène : Éric Vigner
avec : Hélène Babu, Bénédicte Cerutti, Thierry Godard, Nicolas Marchand, Marie Éléonore Pourtois, Thomas Scimeca, Atsuro Watabe, Jutta Johanna Weiss
collaboration artistique : M/M (Paris)
costumes : Paul Quenson
lumières : Joël Hourbeigt
son : Olivier Pédron
maquillage : Soizic Sidoit
assistant à la mise en scène : Nicolas Rouget
assistant à la scénographie : Jérémie Duchier
assistant aux lumières : Rémi Godefroy
Production
Coproduction : CDDB-Théâtre de Lorient Centre dramatique national, Festival d'Avignon