Edito
60e édition
du 6 au 27 juillet 2006
1947, Yvonne et Christian Zervos organisent une exposition d'art contemporain réunissant notamment Picasso, Braque, Matisse, Léger dans le Palais des papes. Ils y invitent aussi un jeune metteur en scène recommandé par le poète René Char, Jean Vilar. Après avoir refusé de reprendre son dernier succès parisien, il propose de venir créer trois spectacles à Avignon. Ce défi peut être relevé grâce à l'appui éclairé du maire de la ville, le docteur Pons. Ainsi, dans ces temps d'après-guerre où l'Europe se reconstruit, Jean Vilar invente son théâtre : un grand texte, une troupe d'acteurs, un plateau nu, un public nombreux, le ciel étoilé... Il souhaite donner un nouveau souffle à l'art théâtral en France.
Dès lors, le Festival d'Avignon n'a cessé de se transformer tout en restant fidèle à l'esprit d'origine : un lieu où le théâtre s'invente, dialogue avec les autres arts et s'ouvre à un large public. Plus de trois générations d'artistes et de spectateurs s'y croisent depuis bientôt soixante ans pour faire vivre cette incroyable aventure humaine et artistique, toujours en mouvement. Faire et regarder le théâtre avec conviction en toute liberté, sans l'enfermer dans une seule vérité, est le pari toujours renouvelé que nous souhaitons partager avec vous.
Chaque année, nous associons au Festival un artiste dont l'oeuvre, le regard, les questionnements inspirent notre programmation. Pour cette soixantième édition, nous avons choisi Josef Nadj.
C'est de Voïvodine, au nord de l'actuelle Serbie, qu'il part pour rejoindre Budapest puis Paris au début des années quatre-vingt. À mi-chemin entre théâtre et danse, nourri par la littérature, la poésie, la peinture et la musique, son langage se compose d'images en permanente métamorphose. Dans chacun de ses spectacles, il offre en partage son univers mystérieux, tragique, tendre et drôle, hors du temps.
Dans nos conversations avec lui, deux images sont revenues avec persistance : la terre comme évocation des racines et de l'identité, le fleuve comme lieu du mouvement, du possible déplacement vers l'autre. Nos échanges ont porté sur ce besoin d'ouverture et la curiosité des artistes qui dialoguent avec d'autres cultures, d'autres langages pour développer leur propre écriture, qui se nourrissent de la tradition ou du savoir des maîtres pour trouver leur propre modernité, qui cherchent à maîtriser leur art pour créer librement.
Ce Festival est fort des artistes que nous avons réunis, dont les démarches croisent ces chemins et qui, par les voyages qu'ils nous proposent, nous aident à regarder le monde et renouvellent notre désir de l'arpenter.
La rencontre avec l'autre, l'étranger, question clef d'aujourd'hui, est présente dans les textes de Koltès, Duras ou Gorki joués au Festival. Elle est aussi très souvent au coeur du processus de création des spectacles présentés, fruit de collaborations d'artistes venus de plusieurs pays, notamment de Russie, du Japon, du Mali ou des États-Unis, ou qui travaillent des langages artistiques différents, le théâtre, le jazz, le cirque, la littérature... Elle est facilitée quand l'artiste est libre dans son art, confiant en la maîtrise de son geste ou de son instrument, comme le cavalier qui voltige ou le musicien qui improvise. C'est peut-être ce que nous évoque l'affiche de cette édition, née de la rencontre d'un sculpteur et d'un danseur, Barceló et Nadj.
Nous vous invitons à cette expérience rare qu'offre le théâtre, le déplacement vers un ailleurs, la possibilité de traverser et d'être traversés par une oeuvre qui nous laisse à jamais différents. Notre ambition, en favorisant la rencontre des spectateurs et des oeuvres, est aussi de construire, au coeur de la cité, un espace de dialogue, d'échange, d'écoute et de respectueuses controverses qui nous rappellent à quel point le théâtre a partie liée avec la démocratie. Dans une époque menacée par des replis identitaires, par des affrontements entre communautés, entre générations, où les questions d'égalité se posent douloureusement, le spectacle vivant, art collectif, qui n'existe que dans le partage immédiat et fragile avec le public, a un rôle essentiel à jouer.
Nous souhaitons rappeler, car c'est encore nécessaire de le faire, que ce Festival sera réalisé grâce au travail des équipes comprenant des artistes et des techniciens qui relèvent du statut spécifique d'assurance chômage des intermittents du spectacle, système qui doit leur garantir de pouvoir exercer leur métier tout en leur permettant de traverser les périodes d'inactivité inhérentes à l'organisation du spectacle dans notre pays.
Cette édition anniversaire sera l'occasion de revisiter une histoire longue de soixante ans pour réfléchir pendant trois jours de rencontres et débats publics avec des artistes, des témoins et des chercheurs, à ce qu'elle peut aujourd'hui nous raconter. Nous saluerons aussi Jean Vilar avec une soirée dans la Cour d'honneur que nous avons confiée à Olivier Py qui nous fera redécouvrir les écrits du fondateur du Festival.
Nous vous souhaitons un beau voyage dans cette 60e édition que nous sommes heureux de partager avec vous.
Hortense Archambault et Vincent Baudriller, directeurs
Avignon, le 14 avril 2006