L'école est devenue la chambre d'écho des problèmes moraux, la caisse de résonance de la casse sociale, l'amplificateur des révolutions qui s'accomplissent à l'intérieur des maisons et derrière les écrans de télévision. Autorité contestée, tyrannie de l'immédiateté, ennui, apathie, décrochage ou phobie scolaire, incivilité et désenchantement face à une société où pistons et relations semblent compter davantage que les parcours exemplaires. Loin d'être à l'abri du bruit du monde, l'école bénéficie de la modernité tout en subissant de plein fouet les métamorphoses de ce que l'écrivain Michel Leiris appelait la «merdonité». Et nombre d'enseignants ont l'impression que la société défait le soir après la classe ce qu'ils ont patiemment tenté d'élaborer dans la journée. Le sentiment d'appartenance à un projet qui transcende les individualités s'est évaporé. Le sens du «nous » s'est dispersé. Comment l'école peut-elle fédérer une collectivité à l'ère de l'entre-soi tribal et de l'individualisme intégral? La famille, ensuite, a largement cessé d'être l'alliée naturelle de l'école. La cellule structurante de l'enfant se décharge souvent de sa fonction éducative sur l'institution publique. Autrefois convergentes, les deux instances sont passées de la connivence à la discorde. Autre signe des temps : le sens des savoirs scolaires s'est diffracté et un mouvement de «désintellectualisation » gagne une frange de l'Europe, pourtant construite sur la culture humaniste. Ce constat ne doit pourtant pas conduire à une rhétorique de la déploration, ni au recours à l'incantation d'un passé mythifié. Comment redonner du sens à la scolarité et aux disciplines enseignées ? Comment retrouver le plaisir des apprentissages ? Tels sont les défis pédagogiques de cet entretien croisé entre deux intellectuels soucieux du devenir de l'école publique.