Thomas Ostermeier a fait des débuts remarqués en 1996 en présentant des spectacles dans un ensemble de préfabriqués attenant au Deutsches Theater, la Barracke. Se consacrant dans un premier temps aux écritures contemporaines, il crée autour de lui un collectif artistique qui surprend et enthousiasme le public berlinois puis européen. Nommé codirecteur de la Schaubühne à Berlin en 1999, il poursuit son travail mais en alternant textes du répertoire – Büchner, Brecht, Ibsen...– et auteurs vivants – Marius von Mayenburg, Jon Fosse, Biljana Srbljanovic, Sarah Kane, Lars Norén... Classiques ou modernes, ces textes de théâtre sont toujours intégrés dans la réalité d'une Allemagne réunie politiquement mais toujours socialement et culturellement divisée, d'une Europe morcelée confrontée à une tentative d'invasion culturelle venue d'outre-atlantique, d'un monde qui ne peut effacer ni le conflit ni la barbarie de ses modes de fonctionnement. Dans sa démarche artistique, c'est toujours un théâtre au plus près de l'homme que propose Thomas Ostermeier, qui fut l'artiste associé de la 58e édition du Festival en 2004. Au Festival d'Avignon, Thomas Ostermeier a déjà présenté Homme pour homme de Bertolt Brecht, Sous la ceinture de Richard Dresser et Shopping and Fucking de Mark Ravenhill en 1999, La Mort de Danton de Büchner en 2001, Woyzeck de Büchner, Maison de poupée d'Ibsen, Disco Pigs d'Enda Walsh et Concert à la carte de Franz Xaver Kroetz en 2004.
Encensée par certains, conspuée par d'autres, la première pièce de Sarah Kane Anéantis fut, en 1995, un coup de tonnerre, un choc violent dans le paysage théâtral anglais. Thomas Ostermeier reprend aujourd'hui ce texte emblématique qu'il considère comme visionnaire et débarrassé de son image provocatrice, un texte d'une force dramatique exceptionnelle, d'une écriture concentrée et précise, sans fioritures, sans faux-semblants littéraires. Il veut le faire entendre en restant, scénographiquement et dramaturgiquement, au plus près des influences revendiquées par Sarah Kane dans cette première œuvre : Ibsen, Brecht, Beckett et Shakespeare. Comment représenter la brutalité, le sexe, la barbarie dans lesquels s'inscrivent les rapports entre les trois personnages, Cate, Ian et le soldat, en même temps que la passion amoureuse, le désir de romantisme, l'espérance généreuse d'un avenir autre ? C'est ce défi que Sarah Kane propose à ceux qui veulent s'emparer de sa parole qui mêle inextricablement la barbarie de l'homme et son insondable capacité à aimer et à être aimé. C'est ce défi que veut relever Thomas Ostermeier, considérant que nous sommes maintenant cernés par cette barbarie et qu'il n'est plus possible, comme en 1995 avec la guerre de Bosnie, de fermer les yeux, tant elle s'étale devant nous par médias interposés. Mais c'est aussi l'interrogation sur la frontière si fragile entre la barbarie que porte en lui chaque être humain et la barbarie collective d'un monde à la violence sans pareille que doit traverser le corps des acteurs et le plateau du théâtre. La perte d'identité d'un individu contient la même violence que la perte d'identité d'une société, elles sont inextricablement liées. C'est ce que nous dit avec force la voix poétique, brillante, incisive et tourmentée de Sarah Kane, sans doute l'une des plus grandes dramaturges anglaises du XXe siècle. C'est ce que Thomas Ostermeier veut faire entendre hors de toute provocation inutile, reprenant à son compte ces mots de l'auteur : “on veut continuer d'aimer et d'espérer”.
Distribution
Mise en scène : Thomas Ostermeier
Avec : Ulrich Mühe, Katharina Schüttler, Thomas Thieme
Texte allemand : Nils Tabert
Scénographie : Jan Pappelbaum
Costumes : Almut Eppinger
Musique : Malte Beckenbach
Dramaturgie : Marius von Mayenburg
Lumières : Urs Schönebaum
Assistant à la mise en scène : Enrico Stolzenburg
Production
Production : Schaubühne am Lehniner Platz-Berlin
Avec le soutien : de l'Onda pour les surtitres
Texte français publié : par l'Arche éditeur