Écrite quelques mois avant que la crise des subprimes n'éclate au grand jour, Die Kontrakte des Kaufmanns apparaît aujourd'hui plus que jamais comme la prémonition de toutes celles qui lui ont succédé. La plume acérée d'Elfriede Jelinek s'attaque aux gros et petits spéculateurs des marchés financiers, à même le langage dont ils se parent. Avec une implacable lucidité et un humour féroce, elle joue inlassablement avec leurs discours prétendument rationnels, pour en donner à entendre le jargon aussi irréel que farcesque. Leurs effets n'en apparaissent que plus tragiques. Comme elle le dit, Elfriede Jelinek n'écrit pas tant des pièces que des « textes à parler », une langue vivante chargée de l'urgence de dire, qui a besoin des corps et de l'énergie du plateau du théâtre pour se réaliser. La vitalité communicative avec laquelle Nicolas Stemann et ses partenaires s'en emparent et nous l'adressent est à la démesure de cette matière foisonnante. Acteurs, musiciens, techniciens, vidéastes, dramaturge, metteur en scène, tous présents sur la scène, fabriquent ensemble, à vue et en temps réel, une machine théâtrale exubérante en constant devenir, qui tient autant de la lecture, du concert, de la performance, du chœur antique, du show télévisé que de l'assemblée d'actionnaires. Au propre comme au figuré, les portes de ce théâtre aux allures de cabaret sont grandes ouvertes sur l'imprévisible réalité dont il s'alimente et qu'il transforme en retour. Si ses artisans, tout comme les genres de représentations et les langages artistiques, y circulent, s'y croisent, prolifèrent librement jusqu'à déborder du plateau, les spectateurs eux-mêmes sont invités à entrer et sortir de la salle à leur guise. Dans cette représentation, pour aussi spectaculaire qu'elle soit, c'est d'abord le présent qui prime. L'évidence de l'être ensemble s'oppose, de fait, à l'opacité d'un système où la peur, l'avidité et le cynisme semblent régner en maîtres. Une satire à l'ironie salutaire, d'autant plus corrosive qu'elle est portée par une vigueur quasiment dionysiaque. SC
Prix Nobel de littérature en 2004, Elfriede Jelinek est née en 1946 en Autriche. Destinée par sa mère à une carrière de musicienne, elle entre finalement en littérature et écrit des romans, dont le plus célèbre et le plus autobiographique, La Pianiste, est porté au cinéma en 2001 par Michael Haneke. Mais Elfriede Jelinek est aussi l'auteure de nombreuses pièces de théâtre (dont beaucoup ne sont pas encore traduites en français) et de scénarios, tous marqués par un fort engagement politique. Son écriture, corrosive, foisonnante, truffée de citations et de prime abord impropre à la scène, met le théâtre au défi de se renouveler. Retournant continuellement sur ses écrits, puisant dans la vaste manne d'internet, elle produit un flux de paroles aux provenances diverses, comme dans Die Kontrakte des Kaufmanns, un texte qu'elle remet continuellement à l'ouvrage depuis 2008, en fonction de l'évolution de la crise économique. « Faites ce que vous voulez ! », telle est l'injonction d'Elfriede Jelinek aux metteurs en scène qui s'emparent de ses textes, comme Karin Beier, Johan Simons ou Nicolas Stemann. MS
Distribution
mise en scène Nicolas Stemann
dramaturgie Benjamin von Blomberg
scénographie Katrin Nottrodt
vidéo Claudia Lehmann
musique Sebastian Vogel, Thomas Kürstner
costumes Marysol del Castillo
traduction et surtitrage Ruth Orthmann
avec Therese Dürrenberger, Franziska Hartmann, Ralf Harster, Daniel Lommatzsch, Sebastian Rudolph, Maria Schrader,
Patrycia Ziolkowska
ainsi que Benjamin von Blomberg, Thomas Kürstner, Claudia Lehmann, Nicolas Stemann, Sebastian Vogel
Production
production Thalia Theater
en collaboration avec le Schauspiel Köln
avec le soutien du Goethe-Institut et de l'aide de la CMA CGM