Lecture d'extraits du Soulier de satin de Paul Claudel par Valérie Dréville
lus par Valérie Dréville
« Cher Antoine, ta présence à Avignon avec Le Soulier de satin est une grande joie », écrit Alain Crombecque à Antoine Vitez. Ce dernier le remercie à son tour, et lui dit son admiration pour le risque et l'audace de cette entreprise : « Cela nous lie pour toujours, écrit-il, comme un événement de notre vie, au-delà du théâtre. » Vitez est le metteur en scène avec qui le directeur du Festival noue une relation privilégiée. Il revient trois fois dans la Cour d'honneur en cinq ans, avec Lucrèce Borgia (1985), Le Soulier de satin (1987) et La Célestine (1989), créations qui témoignent de ce travail dans la durée que Crombecque préconisait. Vitez est l'artiste qui incarne l'esprit de Vilar, en assure la filiation.
Après des débuts houleux dus à la météo, le 11 juillet 1987, a lieu dans la Cour la première intégrale du Soulier : c'est « l'accomplissement sublime ». De 21 heures du soir jusqu'à 9 heures du matin, grâce à la magie de la nuit et à la voûte étoilée en symbiose avec la constellation claudélienne, la représentation fait advenir l'univers cosmogonique de la pièce, réussit un moment de communion magnétique entre le public et les acteurs, ressuscite le sacré vilarien. « Une épopée fondatrice », dit Vitez. Pour cette « dédicace », Valérie Dréville retrouve le personnage qui fut le sien dans la Quatrième Journée (Doña Sept Épées) ainsi que, dans la Troisième Journée, celui de Prouhèze - dont le rôle fut porté par Ludmila Mikaël - au moment où elle exhorte son amant au renoncement, afin de sublimer leur amour et de l'élever vers Dieu.
« Dieu écrit droit avec des lignes courbes. » Paul Claudel
Jean-Pierre Jorris disait : « Jouer pour le vent, avec le vent, contre le vent. » C'est beau et vrai. Je crois qu'à Avignon, on est joué par le lieu, dans une situation d'absence de contrôle totale. Et il faut se laisser faire. On est joué par le vent, par un ciel clément, une nuit claire - la voix ne résonne pas de la même manière quand il y a des nuages ou quand le jour se lève, quand la nuit arrive : ce sont des éléments qui nous traversent et qui nous jouent. Dans la Cour d'honneur, il y a une poétique du plein air qui ouvre l'imaginaire de l'acteur. On peut se retrouver sur la mer, on peut dialoguer avec les anges... J'ai éprouvé cette relation très physique, épidermique avec les odeurs, les bruits de la ville, la rumeur autour, le vent ou la pluie, les oiseaux, les martinets du matin... Pour moi, ils représentent la madeleine de Proust. Chaque fois que j'entends les martinets qui arrivent fin mai, début juin, c'est la musique d'Avignon, c'est Le Soulier de satin, c'est les nuits blanches, l'aube qui se lève... J'ai grandi à Avignon. Pour moi, Avignon est un centre, qui renvoie aux débuts, et les débuts pour un acteur sont importants parce qu'on s'y réfère, toujours. Doublement, pour ces débuts, parce qu'Antoine Vitez était là et qu'il était mon maître. Je me suis rendue compte du sens que cela avait eu pour moi, pendant les improvisations de La Mouette. Anatoli Vassiliev nous avait demandé d'introduire un élément personnel, biographique - je travaillais la scène où Nina vient pour jouer la pièce de Treplev au premier acte : elle a fui sa maison, va à cheval, elle est en retard et arrive angoissée, toute émotionnée. En travaillant cette scène, je me suis rappelée de l'époque où l'on jouait les intégrales du Soulier. Je rentrais sur scène à 6h du matin ; je n'avais pas besoin d'arriver longtemps avant le début du spectacle. J'habitais à Villeneuve, et j'arrivais à Avignon en vélo, au moment où le spectacle commençait. Donc, je voyais du pont le Palais des papes rempli jusqu'au dernier rang, j'entendais les trompettes et je volais vers le spectacle, vers cette aventure incroyable, j'avais le sentiment de rentrer dans ce mythe, comme pour la première fois, et je volais véritablement vers cette représentation... Vassiliev disait que dans la vie d'un comédien, il y a l'élan du début qui est soutendu par une sorte de passion amoureuse ; par la suite, cette passion pour le théâtre diminue, se fane, et il faut trouver une autre dynamique, qu'il appelait la « foi dans l'art ». En travaillant sur La Mouette, j'ai compris ce qu'était pour moi Avignon, à cette époque-là, à l'époque du Soulier : l'élan de l'amour, de la passion amoureuse.
Valérie Dréville 13 juillet 2006
(extrait de son intervention lors de la rencontre publique Le Festival d'Avignon, une histoire en mouvement avec Alain Crombecque, Georges Banu, Heinz Wismann, Marcel Freydefont et Vincent Baudriller)
Valérie Dréville au Festival d'Avignon : Le Soulier de satin de Claudel, mise en scène Antoine Vitez, 1987 ; La Célestine de Fernando de Rojas, mise en scène Antoine Vitez, 1989 ; Et les chiens se taisaient, lecture, 1989 ; Médée-Matériau d'Heiner Müller, mise en scène Anatoli Vassiliev, 2002 ; L'Échange de Claudel, mise en scène Julie Brochen, 2007. En 2008, Valérie Dréville est artiste associée au Festival d'Avignon. À cette occasion, avec Gaël Baron, Nicolas Bouchaud, Charlotte Clamens et Jean-François Sivadier, elle met en scène Partage de Midi de Paul Claudel. Cet été, elle joue Délire à deux de Ionesco dans la mise en scène de Christophe Feutrier.