Le 25 mars 1944, Jean Genet quitte la prison parisienne des Tourelles. Il clôt ainsi la liste des lieux d'enfermement, volontaires ou imposés, qu'il a fréquentés : orphelinat, colonie pénitentiaire, caserne, puis diverses maisons d'arrêt pour vols, jusqu'à cette ultime libération. C'est entre les murs de ces institutions qu'il découvre Ronsard et ses sonnets. Cette rencontre le bouleverse et le pousse vers l'écriture : c'est en prison qu'il passe à l'acte en rédigeant ce Condamné à mort, que la comédienne Jeanne Moreau et l'auteur-compositeur-interprète Étienne Daho feront résonner dans la Cour d'honneur du Palais de papes, entourés de cinq musiciens. Constitué d'une soixantaine de quatrains en alexandrins, ce poème est un hommage à Maurice Pilorge, jeune homme guillotiné pour le meurtre de son amant, beau et gracieux comme « un Apollon », dont Jean Genet dit avoir partagé un moment d'incarcération. Peu importe que l'on sache aujourd'hui qu'il ne l'a jamais vu qu'en photo, dans un journal. Car ce petit arrangement avec la réalité lui a permis d'écrire un hallucinant poème, dans un français purement classique, à la versification racinienne, tout en étant truffé de mots d'argot. Un texte entre perfection du style et crudité des mots, pour dire la transfiguration par le désir. C'est cette langue, violente et douce à la fois, qui a donné à Étienne Daho l'envie d'en faire un disque puis un concert. Réarrangeant pour basse, batterie, violoncelle et guitares la musique qu'Hélène Martin avait composée pour ce poème en 1964, il a demandé à Jeanne Moreau de le rejoindre dans cette aventure. Ensemble, il font entendre cette oeuvre qui, aujourd'hui encore, est une arme de guerre contre le puritanisme, un hymne à la sacralisation du sexe, une ode incendiaire à la beauté des corps, un fascinant mélange de romantisme et de brutalité, inclassable mais toujours aussi éclatant, audacieux et dérangeant. Dans la simplicité du plateau nu de la Cour d'honneur, Étienne Daho chante, tandis que Jeanne Moreau dit, « la parole froide et le coeur brûlant », selon la formule du metteur en scène Klaus Michael Grüber.
Écrivain et dramaturge engagé, Jean Genet (1910-1986) aurait eu cent ans l'année dernière. Le Condamné à mort est sa première oeuvre, écrite à la prison de Fresnes, où il purgeait une peine pour vol de livres. Publié en 1942, ce long poème en alexandrins est une sublime et sulfureuse déclaration d'amour à un jeune meurtrier, prétendument croisé entre les murs de la prison. Vingt ans plus tard, il sera mis en musique par Hélène Martin, repris et chanté par Marc Orgeret, avant d'être revisité par Jeanne Moreau et Étienne Daho, réunis par l'amour de cette poésie qui concilie beauté et crudité, douceur et violence.
JFP
Distribution
musique Hélène Martin arrangements Étienne Daho
interprété par Jeanne Moreau et Étienne Daho et les musiciens Franck M'Boueke (batterie), Marcello Giuliani (basse), Édith Fambuena, François Poggio (guitares), Dominique Pinto (violoncelle)