Que retenir de cet énorme roman épique et fantastique, qui parle d'amour, d'art et de politique, lorsqu'on a le désir de le faire vivre sur la scène de la Cour d'honneur du Palais des papes ? Simon McBurney a choisi d'être fidèle à la construction volontairement très déconstruite du Maître et Marguerite, comme à la folie de son récit qui court de Moscou à Jérusalem, du ciel aux enfers. C'est de ce prodigieux foisonnement qu'il fait surgir une forme théâtrale et dégage un chemin pour traverser trois histoires entremêlées, qui ne se rejoignent et ne livrent leurs secrets qu'au terme d'une aventure à tiroirs. Pour cela, le metteur en scène ne refuse aucun des éléments constitutifs de l'écriture de Boulgakov : ni la passion et la compassion qui animent le Maître et Marguerite dans leur amour comme dans leur liberté, ni le comique plein d'ironie et terriblement jubilatoire de la critique sociale et politique, ni le tragique angoissé et désillusionné du regard qu'un auteur porte sur son œuvre, ni les images poétiques et oniriques qui emportent les personnages dans un au-delà fantastique. Le Maître, c'est cet écrivain solitaire et oppressé à l'image d'un Boulgakov écrasé par la folie tyrannique du pouvoir stalinien ; Marguerite, cette femme amoureuse, entière et courageuse. La force de Simon McBurney réside dans sa capacité à réunir les moyens artisanaux et traditionnels du théâtre, qui lui permettent par exemple de figurer un cheval en utilisant seulement quelques chaises, et les nouvelles technologies les plus sophistiquées, qui font notamment voler ses comédiens dans le ciel de Moscou sans que ceux-ci ne quittent d'un seul pied le plateau. Avec brio, il juxtapose les univers imaginés par Boulgakov : le Moscou d'un Staline qui rôde et surveille, le ciel et les enfers d'un Satan qui ose dire les vérités dérangeantes, une Jérusalem qui voit Ponce Pilate et Jésus philosopher ensemble, mais aussi un hôpital psychiatrique, refuge des écrivains las et désespérés. S'appuyant sur la grande maîtrise de ses acteurs et de toute son équipe artistique, il réussit le tour de force de nous faire passer en deux secondes d'une histoire à une autre, navigant à notre aise dans ce labyrinthe d'émotions et de pensées. Roman inscrit dans le passé récent d'un XXe siècle de terreur, roman dénonciateur de la corruption des esprits à laquelle il oppose les élans du cœur, roman intemporel secouant les tendances apathiques qui s'emparent parfois du genre humain, Le Maître et Marguerite permet à Simon McBurney et à Complicite de fabriquer ce théâtre généreux, poignant et imaginatif qui fait, aujourd'hui encore, de l'écriture littéraire et scénique l'un des meilleurs moyens de communication que les hommes aient inventés. JFP
Mikhaïl Boulgakov (1891-1940) a trente-sept ans lorsqu'il entreprend, en 1928, l'écriture de ce qui deviendra l'une des œuvres les plus importantes de la littérature russe du XXe siècle : Le Maître et Marguerite. Il est alors un auteur interdit de publication : ses premiers écrits, La Garde blanche et Cœur de chien, ont été saisis. Surveillé de près par la police politique soviétique, il est néanmoins laissé en liberté selon le bon vouloir de Staline, qui l'autorise à travailler au Théâtre d'art de Moscou comme assistant, mais lui refuse un passeport pour quitter l'URSS. Après avoir brûlé le premier manuscrit du Maître et Marguerite, il revient à ce roman en 1931 et en livre une deuxième version en 1936, qui contient d'ores et déjà tous les principaux épisodes de la trame finale. Désireux de peaufiner son œuvre, il travaillera à une troisième puis une quatrième version que sa femme achèvera en 1941, un an après la mort de son mari. Il faudra attendre 1973 pour qu'elle soit publiée, dans son intégralité, en URSS. À la fois histoire d'amour et critique politique, comédie burlesque et conte fantastique, Le Maître et Marguerite a toujours fasciné Simon McBurney. «Le monde dans lequel nous vivons, affirme-t-il, est une fiction élaborée. Une construction imaginaire que nous prenons pour la réalité. Sans doute est-ce la fonction de l'art que de percer cette vérité. Cela n'a peut-être jamais été plus vrai que sous le régime de l'ancienne Union soviétique...» C'est donc ce livre aux valeurs atemporelles qu'il a choisi d'adapter pour la Cour d'honneur du Palais des papes.
Distribution
mise en scène Simon McBurney
scénographie Es Devlin
lumière Paul Anderson
son Gareth Fry
costumes Christina Cunningham
vidéo Finn Ross
animation 3D Luke Halls
marionnettes Blind Summit Theatre
avec David Annen, Thomas Arnold, Josie Daxter, Johannes Flaschberger, Tamzin Griffin, Amanda Hadingue, Richard Katz, Sinéad Matthews, Tim McMullan, Clive Mendus, Yasuyo Mochizuki, Ajay Naidu, Henry Pettigrew, Paul Rhys, Cesar Sarachu, Angus Wright
Production
production Complicite
coproduction Festival d'Avignon, Barbican London, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Wiener Festwochen (Vienne), Ruhrfestspiele (Recklinghausen)
en association avec le Theatre Royal (Plymouth)
avec le soutien du British Council et de PRG