Nous serions parvenus à l'âge d'or de la reconnaissance des différences. Notre époque serait celle de la tolérance. Homosexualité, transsexualité, parité : tout irait vers le mieux dans un monde métissé qui ferait peu à peu avancer les mentalités. La globalisation des échanges et le tourisme mondialisé auraient permis de passer du choc des cultures au dialogue des civilisations. Rien n'est moins sûr. La récente polémique sur la valeur inégale des civilisations montre que la question de l'altérité est loin d'être réglée. Ce qu'il convient de dire en premier, indique l'anthropologue Françoise Héritier, c'est que le «bon sens» partagé pour affirmer que les autres ne sont pas comme nous et, dans la foulée, nous sont inférieurs, proviennent d'un réflexe psycho-social partagé par toute l'humanité. Ethnologues, géographes, linguistes, historiens savent que, en règle générale, le nom sous lequel se désigne une population définie par une culture, signifie «Nous, les humains». Les autres sont des barbares (littéralement «ceux qui ne parlent pas comme nous ») ou des sauvages, lorsqu'ils sont encore plus éloignés. Chaque société éduque ses enfants dans un rapport de confiance envers les proches (c'est-à-dire essentiellement les consanguins) doublé de méfiance envers les autres, les non-consanguins. Forgée au cours de la préhistoire, l'idée que les femmes doivent faire des enfants, et surtout des fils pour perpétuer l'espèce, persiste. Les femmes sont cantonnées à leur fonction reproductrice et domestique. La hiérarchie entre les sexes est au fondement de toute hiérarchie. Et ce n'est pas un hasard si parmi les premières mesures que les islamistes ont prises après leurs victoires issues du Printemps arabe concernaient la restriction des droits des femmes. Or naguère, remarque le sociologue Éric Fassin, le féminisme était réputé incompatible avec la culture nationale, dont on aimait célébrer la singularité, en opposition à l'Amérique de la guerre des sexes. Aujourd'hui, au contraire, la liberté des femmes et l'égalité entre les sexes sont opposées au principe de l'identité nationale, voire enrôlées dans la rhétorique du conflit des civilisations. Comment résister à cette instrumentalisation sans renoncer à une pensée critique de la «valence différentielle des sexes», de la domination masculine ? Et si le barbare, c'est celui qui croit à la barbarie des autres, comment penser la géopolitique des différences et du genre ?