Mirage du langage : dès qu'il est mis dans une phrase, le mot « temps » crée une impression de savoir là où il n'y a en réalité aucune espèce de savoir réel. Et c'est ainsi que, parfois, il nous leurre. Par exemple, nous proclamons sans hésiter que « le temps passe », au motif que c'est la notion de passage qui caractérise le mieux la dynamique même du temps. Comme s'il y avait effectivement quelque être propre, autonome, qui soit sujet à « passer ». Mais est-il vrai que le temps passe ? Et qu'est-ce que le temps ? On oppose souvent le « temps des consciences » au « temps des horloges », le temps perçu dans la subjectivité au temps mesuré par la scientificité. Or d'autres temps caractérisent notre modernité : le temps remonté, fabriqué et machiné par l'art, le temps du live permanent et des nouvelles technologies, ou le temps historique qui permet de penser notre rapport à l'époque. Ainsi, « le temps n'est pas quelque chose qui existe en soi », affirmait Kant. Et force est de constater que le temps mathématisé du physicien n'épuise manifestement pas le sens du temps vécu, pas plus que le temps vécu ne donne l'intuition de toutes les facettes du temps physique. Les physiciens sont parvenus à faire du temps un concept opératoire sans être capables de définir précisément ce mot et, nous, nous ne pouvons pas nous mettre en retrait par rapport au temps, comme nous ferions pour un objet ordinaire. Nous pouvons le mesurer, mais pas l'observer en le mettant à distance, car il nous affecte sans cesse. Nous sommes inexorablement dans le temps. 90 ans après la rencontre entre Bergson et Einstein à Paris, entre le penseur de la durée et l'inventeur de la relativité, un philosophe et un physicien donnent du temps au temps.