Au mois d'avril 2010, lorsque le public de Tunis découvre la nouvelle création de Jalila Baccar et de Fadhel Jaïbi, Yahia Yaïch - Amnesia, il lui fait une longue ovation. Il n'en revient pas qu'un tel spectacle ait pu franchir les barrières de la censure tunisienne qui, deux ans auparavant, avait interdit les représentations de Corps otages, la précédente production de la compagnie. Cette surprise tient au sujet même de la pièce : l'histoire d'un dirigeant politique, Yahia Yaïch, qui apprend par la télévision sa destitution, et donc la perte de ses pouvoirs absolus. Une histoire qui, dans ce pays alors écrasé par la dictature du président Ben Ali, s'attaque directement à un tabou. Loin de la dénonciation facile et frontale, Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi orchestrent une véritable tragédie autour d'un despote brutalement limogé, d'une presse longtemps muselée qui peine à sortir de sa langue de bois et d'un peuple à la conscience anesthésiée. Tirant parti d'une scénographie dépouillée, jouant sur les contrastes du noir et du blanc, la mise en scène met en valeur le corps des acteurs et crée un mouvement permanent autour du dirigeant déchu, enfermé dans la spirale infernale de l'incompréhension et du déni, broyé par des pratiques qu'il a lui-même développées. Pas de caricature dans cette analyse en profondeur d'un système terrifiant, dans cette exposition, non dénuée d'humour, des mécanismes du pouvoir, dans cette tentative d'appréhension des phénomènes d'autocensure, plus terrible encore que la censure officielle. Pas de parodie, juste une galerie éloquente de personnages profondément humains, dans leur courage ou dans leur lâcheté, qui participent, volontairement ou non, à une sorte de cauchemar individuel et collectif. Avec Yahia Yaïch - Amnesia, le théâtre a anticipé l'Histoire en libérant les mots et les esprits dans un pays où « les langues étaient coupées », comme le disent si bien Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi. Il a su avec exigence révéler, divertir et utiliser ses armes ancestrales pour un combat d'aujourd'hui. JFP
Distribution
texte Jalila Baccar, Fadhel Jaïbi
mise en scène Fadhel Jaïbi
assistanat à la mise en scène Narjes Ben Ammar
musique Gérard Hourbette /Art Zoyd
scénographie Kaîs Rostom
lumière Yvan Labasse, Fadhel Jaïbi
costumes Anissa B'diri
avec Ramzi Azaiez, Jalila Baccar, Fatma Ben Saîdane, Khaled Bouzid, Sabah Bouzouita, Basma El Euchi, Riadh El Hamdi, Karim El Kefi, Mohammed Ali Kalaî, Lobna M'lika, Moez M'rabet
Production
production Familia Productions, Bonlieu Scène nationale Annecy
coproduction Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, Théâtre de l'Union Centre dramatique national du Limousin, Théâtre de l'Agora Scène nationale d'Évry et de l'Essonne
avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine de Tunisie et de l'Organisation internationale de la Francophonie