Edito
61e édition
du 6 au 27 juillet 2007
"L'acte est vierge, même répété" est le numéro 46 des Feuillets d'Hypnos, écrits par le poète René Char entre 1943 et 1944 pendant qu'il combattait pour la Résistance dans le sud de la France. C'est avec ces mots que nous introduisons cette édition du Festival d'Avignon, scène de la création contemporaine depuis soixante ans, chaque année à renouveler. Pour ce programme, cinq Feuillets ont été dessinés par le plasticien Laurent P. Berger, qui a scénographié le spectacle de Frédéric Fisbach dans la Cour d'honneur.
En 1947, deux ans après la fin de la guerre, René Char présentait Jean Vilar à Christian et Yvonne Zervos, collectionneurs d'art ; ensemble, ils allaient créer la Semaine d'art en Avignon. Le premier Festival naissait dans une France qui se reconstruisait autour des idées d'une solidarité sociale, d'un accès à la culture pour tous, d'une Europe plurielle et pacifiée. Aujourd'hui, ces valeurs sont toujours à affirmer et à inscrire dans un monde en transformation. Un monde complexe, difficile à décrypter, aux signes multiples brouillés par une communication omniprésente qui aurait renoncé au dialogue, souvent proche du slogan ou de l'incantation. Dans ce contexte, l'art aide à réinvestir le langage. L'écriture, la mise en scène sont autant d'invitations à voir, à ressentir, à penser notre vie.
Ce Festival, nourri par un long et riche dialogue avec Frédéric Fisbach, metteur en scène et artiste associé de cette édition, fera la part belle aux écritures. Des écritures littéraires, scéniques, chorégraphiques qui cherchent, inventent, pour mieux représenter, questionner, transformer notre réel dans toutes ses dimensions, intimes ou sociales.
En leur temps, Klaus Mann dans Mephisto, René Char dans Feuillets d'Hypnos ou Céline dans Nord ont créé des formes littéraires pour traduire leur expérience du chaos provoqué par le nazisme et la guerre. Leurs paroles divergentes posent la question de l'engagement de l'artiste. Aujourd'hui, les artistes contemporains invités à faire ce Festival, auteurs, metteurs en scène, chorégraphes, acteurs, danseurs, musiciens... de France, d'Europe, d'Asie ou d'Afrique, s'engagent à nous écrire à leur manière le monde.
Les artistes que nous avons réunis pour ce 61e Festival proposent des oeuvres d'une grande diversité esthétique. La plupart, nous semble-t-il, sont cependant animés dans leur travail de création par un même état d'esprit, celui du partage que permet la communauté si spécifique au théâtre. Communauté dans la création, car souvent ils créent dans un dialogue avec leur équipe, formée de collaborateurs parfois venus d'horizons géographiques ou artistiques différents ; communauté dans le moment même de la représentation, celui de l'échange nécessaire avec le spectateur pour qu'advienne le théâtre. De ce moment de partage peuvent naître des discussions, des interrogations, qui rassemblent ou divisent, et permettent à chacun d'avancer plus librement sur son propre chemin.
En regardant le monde d'aujourd'hui ou l'histoire du XXe siècle, en s'appuyant sur la langue d'auteurs classiques ou en inventant de nouvelles écritures, les créations de ce Festival nous invitent à réfléchir aux manières de se tenir debout, d'être ensemble, de s'engager par la parole et par les actes, d'être en colère, de recevoir un héritage et de transmettre aux générations suivantes...
Au moment où la place de l'art et de la culture se réduit dans les discours politiques comme dans les médias, nous devons ensemble, artistes et spectateurs, témoigner de la vitalité de la création artistique, de l'importance que peut prendre dans une vie sa rencontre, de la nécessité de permettre sa fréquentation au plus grand nombre. Nous aiderons ainsi nos représentants en France comme en Europe à se mobiliser à nos côtés pour développer les espaces de liberté que l'art dessine.
Nous vous souhaitons une bonne lecture du programme et vous attendons à Avignon pour partager avec vous ce Festival.
Hortense Archambault et Vincent Baudriller, directeurs
Avignon, le 15 avril 2007