avec
Édouard Glissant poète et écrivain
Hans Ulrich Obrist commissaire d'exposition
Michelangelo Pistoletto plasticien
L'utopie n'a pas bonne presse, ni bonne image, même si Jan Fabre, juché sur une tortue dorée faisant face à la mer de Nieuport lui a rendu un bel hommage (À la recherche d'Utopia qui figure sur l'affiche du Festival d'Avignon). Dans l'imagerie dominante, le visage de l'utopie se confond souvent avec celui des pires régimes politiques, de l'hitlérisme au stalinisme. À son propos, les plus indulgents se contentent d'évoquer, le temps d'un sourire amusé, ce songe creux formulé par de doux rêveurs. Après les décennies de rêveurs absolus et les années utopiques des années 1960, nous serions donc condamnés au cercle vertueux de la raison, rivés aux chaînes inaliénables de la réalité. Pourtant, de Thomas More à Charles Fourier, de Pierre Leroux à Walter Benjamin, les guetteurs de rêves n'ont cessé d'invoquer ce “lieu du bonheur” dans leur rhétorique et leur pratique de la liberté. À rebours de sa dépréciation contemporaine, l'écrivain Édouard Glissant et le plasticien Michelangelo Pistoletto réinstallent l'utopie dans notre paysage artistique et notre horizon politique. “L'Utopie n'est pas le rêve. Elle est ce qui nous manque dans le monde”, écrit Édouard Glissant empruntant les pas du philosophe Gilles Deleuze, selon lequel la fonction de la littérature et de l'art est d'“inventer un peuple qui manque”. L'utopie n'est donc pas un “lieu de nulle part” ou un “lieu qui n'est pas” comme l'indique l'étymologie, mais “le lieu même de ce peuple” selon Édouard Glissant (La Cohée du lamentin, Gallimard, 2005). En fondant la Cittadellarte (Cité de l'art) à Biella, Michelangelo Pistoletto cherche à faire de l'artiste l'acteur d'un nouveau “partage responsable”. Au sein de cette utopie concrète, les artistes peuvent ainsi refonder leur responsabilité en sortant la création artistique du jeu du marché, les ouvriers exercer leur créativité sur leur lieu de travail, l'harmonie entre les différents domaines de l'activité humaine se réaliser. Longtemps déconsidérée, voici donc l'utopie réactivée par un passeur d'art, un poète de la “mondialité”, et un plasticien qui dessine les contours d'un monde meilleur.