avec
Alain Corbin historien
Nathalie Richard comédienne
Georges Vigarello historien
De la génétique aux bombes humaines, des victimes de la mode aux nouveaux modes de nutrition, le xxie siècle redécouvre un corps à la fois célébré et malmené. En Occident, pourtant, longtemps a prévalu l'idée selon laquelle le corps n'avait pas d'histoire. En dépit des apports épars de quelques éclaireurs, tel Jules Michelet au xixe siècle qui chercha à rendre corps au passé, l'histoire traditionnelle était désincarnée. Elle s'intéressait à des hommes et, accessoirement, à des femmes. Mais presque toujours sans corps. Comme si la vie de celui-ci se situait en dehors du temps et de l'espace, recluse dans l'immobilité présumée de l'espèce. C'est tout le mérite des historiens Alain Corbin et Georges Vigarello d'avoir initié et assuré, avec Jean-Jacques Courtine, l'édition d'une grande Histoire du corps (1 : “De la Renaissance aux Lumières” ; 2 : “De la Révolution à la grande guerre”, Seuil, 2005) où ils redonnent corps et vie au théâtre de notre intimité à travers les âges. À travers l'évocation du rapport au sang (de la guerre à la cuisine du “canard au sang”), au rire (de la bible à la caricature politique) et aux larmes (des pleurs de saint Pierre à la raréfaction des larmes au XIXe siècle), c'est en fait toute l'histoire culturelle de la déchristianisation de la chair et de l'auto-contrôle des émotions qui sera évoquée lors d'un dialogue avec la comédienne Nathalie Richard, l'une des interprètes du spectacle Le Cas de Sophie K. de Jean-François Peyret et Luc Steels présenté au Festival. Car si la discipline historique a longtemps oublié le corps, le théâtre en fait son point de départ. Alors même que les individus exposent leur moi et leurs émois à la radio ou sur les plateaux des émissions de télévision, entre souci de soi et épanchement narcissique, quel corps représenter au théâtre ? Et comment le comédien peut-il encore représenter le mystère de la douleur face à cette pornographie du malaise ? Hygiène, mœurs sexuelles, gestuelle : un voyage à travers les aventures du corps de l'homme concret, en compagnie de deux historiens des sensibilités et d'une actrice pour qui la représentation est inséparable de l'incarnation.