Le public français a rarement eu l'occasion de voir monté le Faust de Goethe dans son intégralité. Plus qu'ambitieux, le projet de mettre en scène le classique par excellence de la littérature allemande semble être condamné à l'échec, tant Faust II se refuse au premier abord au théâtre, rassemblant les genres les plus opposés, les langages et les rythmes les plus différents. Il ne fallait rien de moins que la fougue talentueuse de Nicolas Stemann et de son équipe, formés à l'école postdramatique, pour être à la hauteur de cette écriture extrêmement peu conventionnelle. Passant de l'opérette à la tragédie, du show télévisé au monde onirique et fantastique, l'énergie méphistophélienne du marathon scénique qu'ils nous proposent déborde des cadres traditionnels du théâtre, le réduisant à un monologue intimiste ou le gonflant jusqu'à atteindre une sorte d'agit-prop. En huit heures de spectacle menées tambour battant, Faust I + II s'interroge sur les significations actuelles d'un pacte passé avec le diable et entreprend un vertigineux voyage théâtral dans les profondeurs psychologiques, politiques et économiques de l'humanité. S'ouvrant sur la tragédie de Marguerite, jeune fille séduite par Faust, démontrant l'ambivalence du désir amoureux, la perspective faustienne nous conduit dans le « grand monde », où le divertissement se mêle aux questions économiques, politiques et scientifiques. Écrite aux débuts de la révolution industrielle, la pièce de Goethe critique avec une incroyable lucidité le monde qui est aujourd'hui le nôtre : son économie financiarisée, dont l'apparente rationalité ne repose que sur la croyance avide du plus grand nombre et l'irrespect de nos sociétés face à la nature, qui mène irrémédiablement à la catastrophe écologique. Généalogie du monde contemporain, Faust I + II est une trépidante nuit de Walpurgis, dans laquelle le spectateur est aspiré et s'amuse, sans cesser de s'interroger sur les raisons de son propre divertissement