Entretien avec Zeid Hamdan

Comment est née l’idée de cet hommage à Oum Kalthoum ? 

Ce concert est né d’une initiative du Festival Le Printemps de Bourges pour son édition 2025. À l’origine, c’est le compositeur Khalil Hentati qui avait été sollicité mais, comme il était en production, il leur a suggéré mon nom. Une grande partie de mon travail est consacrée à la réactualisation de grands morceaux classiques du répertoire arabe. Au sein de plusieurs formations dont SoapKills et Bedouin Burger, j’ai été amené à moderniser des titres comme ceux de la chanteuse syrienne Asmahan, de l’Égyptien Mohammed Abdel Wahab ou encore des chants anciens, les muwashahat. Lorsque Le Printemps de Bourges m’a contacté, il m’a demandé de réactualiser les morceaux emblématiques d’Oum Kalthoum, de mettre en valeur son répertoire, d’en proposer une version plus contemporaine tout en respectant sa forme originelle. Nous avons travaillé collectivement : avec l’équipe du Printemps de Bourges, avec les artistes que nous avons réunis, avec l’interprète et joueur de luth libanais Oussama Abdelfattah qui sera à nos côtés sur scène et qui a rendu possible ce projet d’adaptation. 

 

Vous vous êtes immergé pour l’occasion dans l’univers d’Oum Kalthoum… 

C’était la première fois que j’explorais son répertoire et je l’ai vécu comme un challenge. Je me suis mis dans une situation d’écoute intense pendant trois mois. Dans les transports en commun, dans les parcs, à la maison, la voix d’Oum Kalthoum était dans mes oreilles. Je suis entré dans une forme de transe. Sa musique m’a habité. J’ai travaillé en studio afin de voir comment jouer son répertoire à la guitare électrique ou au clavier, comment programmer du beat sur ses œuvres. J’ai demandé aux artistes de choisir les titres qu’ils aimeraient interpréter. Grâce à eux, j’ai découvert une myriade de morceaux, parfois même des chansons rares que l’on entend très peu. À partir de leur sélection, j’ai travaillé main dans la main avec l’orchestre afin que leurs accords s’harmonisent avec mes sons électro. 

 

Comment les interpètes et instruments présents sur scène contribuent-ils à construire un pont entre tradition et modernité ? 

Sur scène, vous retrouvez les instruments qui composent la base de l’orchestre traditionnel. Il y a un qanûn, qui est une sorte de harpe orientale posée à l’horizontale, des luths, le violon et la percussion. Je suis également au plateau avec ma basse et mes synthés, accompagné d’un batteur. Nous avons réuni sept artistes aux parcours et influences éclectiques. Il y a d’abord Maryam Saleh avec qui je collabore depuis plus de dix ans. Elle fait partie de ceux qui m’ont initié à la musique égyptienne. Il y a ensuite Natacha Atlas. Quand j’ai entamé mon travail d’actualisation de la musique arabe, Natacha le faisait déjà : on se souvient tous de I Put a Spell on You ou Mon Amie la Rose. Abdullah Miniawy fait partie de cette génération d’artistes égyptiens très appréciés sur la scène indépendante. Il y a également les rappeurs Danyl et Rouhnaa. C’est un exercice passionnant de voir comment ils intègrent Oum Kalthoum dans leurs propres compositions. J’ai rencontré Camelia Jordana à l’Institut du monde arabe en 2020, lors d’un hommage pour le Liban à la suite de l’explosion du port de Beyrouth. Je connaissais ses chansons en anglais. Avec ce concert, j’ai découvert qu’elle est très familière de la musique arabe. Enfin, il y a Souad Massi, véritable icône de la musique contemporaine folk arabe. Ce fut passionnant de l’entendre chanter Oum Kalthoum, car son répertoire est très loin de la forme classique arabe. Souad réactualise la musique arabe de façon folk. Ensemble, nous avons imaginé des accords jazzifiés. Toutes et tous forment un joyeux mélange. Elles et ils ne nous proposent pas une succession de reprises. Toutes et tous se sont approprié les titres. Ils font résonner l’âme et l’esprit d’Oum Kalthoum, son côté rebelle, courageux et libre. 

Cinquante ans après sa disparition, que représente, selon vous, Oum Kalthoum pour la scène musicale arabe ? 

Elle est l’une des meilleures ambassadrices de la musique classique arabe. Oum Kalthoum était extrêmement fière de ses origines, elle était féministe, elle avait un amour immense de son pays. J’ai vraiment envie que les spectateurs gardent ce concert à jamais en mémoire. J’ai vraiment envie de faire quelque chose de mémorable tout en rendant un hommage à la hauteur de cette artiste grandiose. 

Propos recueillis par Vanessa Asse en mai 2025.