Entretien avec Olivier Fournier, Mathilde Monnier et Tiago Rodrigues

Le programme Transmission Impossible – imaginé par le Festival d’Avignon, la Fondation d’entreprise Hermès et la chorégraphe Mathilde Monnier – réunit pendant deux semaines cinquante étudiantes et étudiants de tous pays, issus de disciplines diverses telles que le théâtre, la danse, le cirque ou les arts visuels. Son titre – qui prend la forme d’une contradiction  –semble interroger l’idée même de transmission. Pourquoi ?

Tiago Rodrigues : Parce que transmettre le spectacle vivant est un processus infini – toujours en cours – et qu’il repose sur un paradoxe. Le Festival d’Avignon s’inscrit dans une histoire. Il est dépositaire d’un héritage, d’une mémoire. Nous pouvons célébrer cette mémoire en publiant des textes, en exposant des photographies ou des captations vidéo. Mais comment transmettre l’immatériel, ce qui s’écrit sur le vide et qui échappe justement aux textes, aux photographies, aux captations, aux enregistrements ? Comment transmettre ce qui est en vie dans les arts vivants ? Que reste-t-il des arts vivants au-delà des corps qui les portent ? À ces questions essentielles, nous avons choisi de répondre par ce programme en forme d’agora. Transmission Impossible invite de jeunes artistes français et internationaux à vivre Avignon à travers des spectacles, rencontres et workshops avec les créatrices et créateurs, à s’emparer de l’héritage du Festival pour se l’approprier, le recréer et le partager. Il s’agit d’assumer l’idée que toute transmission est recréation.

De nombreuses participantes et participants bénéficient d’une bourse de la Fondation d’entreprise Hermès. Qu’est-ce qui a incité la Fondation à s’engager pour soutenir ce projet ?

Olivier Fournier : La Fondation d’entreprise Hermès est très engagée en faveur de la transmission et de la solidarité, deux piliers de son action que l’on retrouve dans le programme Artistes dans la Cité et qui irriguent Transmission Impossible. Ce programme a été développé pour permettre aux artistes de demain de se consacrer pleinement à leurs études et à l’apprentissage des métiers des arts de la scène, notamment à travers un dispositif de bourses d’études déployé depuis 2018 avec dix-neuf écoles nationales supérieures de danse, de théâtre et de cirque. En fin de cursus, la Fondation propose à chaque boursier de réaliser un projet post-diplôme dans des conditions professionnelles en faisant appel à un artiste confirmé et en s’associant à une structure culturelle de territoire. Cette année, après Cyril Teste au Théâtre de la Cité internationale (Paris) en 2022 et Marlène Saldana et Jonathan Drillet aux Subs (Lyon) en 2023, la Fondation s’associe avec la chorégraphe Mathilde Monnier pour réaliser Transmission Impossible. C’est pour nous une façon très concrète de favoriser l’égalité des chances, le partage et la transversalité, d’offrir à ces jeunes diplômés un tremplin vers les réseaux professionnels nécessaires au déploiement de leur talent.

Mathilde Monnier, pouvez-vous nous en dire plus sur ce programme que vous avez coconstruit ?

Mathilde Monnier : La règle du jeu est de proposer à ces jeunes artistes d’inventer leur façon d’être spectatrices et spectateurs de la machine-festival : leur offrir ensuite la possibilité de partager leurs façons de sentir, de comprendre et de réagir, sous forme de restitutions dans l’église des Célestins. Concrètement, nous allons immerger ces jeunes artistes au cœur de cette 78e édition en leur donnant la possibilité d’explorer ce chaudron de tous les possibles qu’est le Festival. Voir ensemble des spectacles mais aussi suivre des artistes au travail sur des plateaux hors normes, metteuses et metteurs en scène ou chorégraphes, parler avec des scénographes, des éclairagistes, créateurs et créatrices lumières, son, costume, décors, dramaturges, administration, production, sous-titrage, régisseurs… Nous nous intéressons à ce qui se transmet non pas comme un savoir organisé mais selon des hasards heureux, des circulations imprévues dans cette réserve inépuisable de mémoire, de savoir-faire, d’expériences et d’outils qu’est le Festival d’Avignon.

Parlez-nous de Patric Chiha, Stéphane Bouquet et Cristina Morales qui vous accompagnent dans cette école du regard…

Mathilde Monnier : Stéphane Bouquet est écrivain et poète mais aussi scénariste et critique de cinéma. Il a également occupé les fonctions de directeur du programme pédagogique Danse et Cinéma pour le Centre national de la Danse. Il intervient sur les questions dramaturgiques soulevées cet été au Festival d’Avignon et notamment sur la question centrale du récit. Patric Chiha est un réalisateur autrichien d’origine hongroise et libanaise. Il connaît bien la danse, notamment pour avoir adapté au cinéma Crowd de Gisèle Vienne en 2020. Il est artiste et enseignant, travaillant sur la question des écrans et des images à une époque où tout le monde produit des images. Cristina Morales apporte une perspective unique en tant que chorégraphe, autrice et activiste. Son travail explore les liens entre le mouvement corporel, la parole et la conscience sociale. Elle est en phase avec les préoccupations de la jeunesse sur les questions du genre, de l’écologie, des minorités, du statut d’artiste et des contre-pouvoirs.

La dimension internationale du projet paraît importante tant pour les intervenants que pour les participants…

Tiago Rodrigues : Les cinquante étudiantes et étudiants de Transmission Impossible sont originaires de France, Bolivie, Corée du Sud, Lituanie, Mexique, Portugal, Taïwan… Avignon est un festival international depuis les années 1960 – cela fait partie de son ADN – et il a toujours été un espace de rencontres où naissent – par-delà les frontières – les collaborations futures. Pour ces jeunes artistes à l’orée de leurs carrières, il s’agit d’élargir leurs horizons, de favoriser la découverte d’autres pays, d’autres cultures, de permettre la circulation des langages, de provoquer des expériences qui pourront être transformatrices.

Entretien réalisé en février 2024