Entretien avec Némo Flouret

Derniers Feux fait vivre au public un moment de bascule, un instant où tout peut changer… Comment avez-vous élaboré ce spectacle sur un socle aussi insaisissable ? 

Cette pièce est le résultat d’une recherche sur le début et la fin, sur l’éphémère et l’immatériel. Elle raconte un spectacle en train de se faire, une communauté qui tente de se retrouver, un rêve qui essaie d’exister. Pour cette création, j’ai eu envie de travailler autour du feu d’artifice, des images qu’il véhicule et de la tension qui l’entoure : la peur du danger, l’émotion et la joie qu’il procure, cette seconde d’éternité, cette éphéméralité, comme l’écrit Jean Giono dans Un roi sans divertissement. Derniers Feux est aussi un questionnement sur le spectacle et son rôle dans la société. Qu’attend-on d’une pièce et des artistes ? Et si nous faisions ensemble un ultime spectacle, à quoi pourrait-il ressembler ? Ces dix performeurs et performeuses réunies autour de moi dansent, jouent de la musique, montent et démontent la scénographie. Tous sont techniciens, performeurs, spectateurs. Ils sont toujours en mouvement. La danse est tellement centrale que nous l’oublions presque : elle est un mode d’existence, le liant des images qui apparaissent et disparaissent. Une autre source d’inspiration de Derniers Feux est la façon dont Fellini évoque son art dans les films Huit et demi et L’Intervista. Il parle de ses doutes, d’un groupe de personnes qui se réunit pour donner vie à des rêves et des cauchemars, en faisant face au vide avec l’imaginaire. Une mise en abyme du cinéma, un film dans le film. Derniers Feux est un spectacle sur la création d’un spectacle. 

Dans vos précédents spectacles, vous êtes souvent sorti du théâtre, notamment pour investir des lieux urbains post-industriels. Avec Derniers Feux, vous réinvestissez l’espace théâtral… 

Effectivement, mes projets se sont souvent déroulés in situ. Pour Forêt, nous avons développé, avec la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker, une pièce déambulatoire interprétée dans l’aile Denon au musée du Louvre. Avec 900 Something Days Spent in the XXth Century, j’ai traversé différents lieux qui correspondaient à autant de typologies de vestiges industriels du siècle passé. Occuper des espaces qui ne sont a priori pas dévolus à la danse est le point de départ de beaucoup de mes projets. J’ai l’envie organique d’utiliser tout ce qu’il y a autour de moi comme terrain de jeu. Avec Derniers Feux, je poursuis ce processus, en ancrant ces principes fondamentaux dans l’espace du théâtre et ce qu’il dit de nous aujourd’hui. C’est particulièrement le cas à Avignon, une ville qui, pendant un mois, se transforme pour accueillir toute une communauté artistique éphémère. Dans ce spectacle, je veux investir le théâtre avec les outils que j’utilise habituellement dans les autres lieux. 

Vos spectacles s’inscrivent souvent à la croisée de plusieurs domaines artistiques. Comment vous présenteriez-vous ? Comme un chorégraphe ? 

Oui, je dirais que je suis chorégraphe, mais pas seulement. La danse et la performance sont au centre de mes projets, mais je pense qu’il s’agit dans mon écriture de m’attacher à chorégraphier tout le reste également. À tout juste trente ans, j’ai envie de laisser apparaître qui je suis à travers ma démarche plutôt que de me définir trop rapidement. Dans mon enfance, l’un de mes jeux préférés consistait à jouer à créer des spectacles. Avec les voisins du quartier où j’ai grandi, à côté d’Orléans, nous avons organisé notre propre festival l’année de nos douze ans. Par la suite, j’ai découvert la danse et la chorégraphie qui m’ont semblé être un bel endroit de liberté pour continuer à créer, offrant différentes façons d’être ensemble. Depuis quelques années, j’imagine mes projets comme des espaces de rencontre avec le public et tous les métiers du spectacle. Jean Vilar employait le mot régisseur. Je trouve ce terme intéressant. Un régisseur organise une pièce tant d’un point de vue technique qu’artistique. Entouré par son équipe, il porte une vision artistique commune. C’est tout l’objet de mon travail : réunir un groupe autour d’un imaginaire commun, en s’emparant de la scénographie, de la danse, du temps, de la musique, du théâtre, de la performance, du texte, etc. Alors, pour répondre à votre question, peut-être peut-on dire que je suis un régisseur.

Pour les costumes de cette pièce, vous avez collaboré avec la maison ISSEY MIYAKE. 

Je travaille depuis quelque temps avec Satoshi Kondo. En 2023, avec l’ensemble de musique contemporaine Ictus, j’ai réalisé une performance, Grasping the formless, pour la collection printemps/été d’Issey Miyake. La vision de Satoshi a rencontré de façon très organique les principes fondamentaux de Derniers Feux. Dans sa manière de penser, de faire le vêtement, nous retrouvons cette forme d’immatériel, d’éphémère, partant d’un seul matériau pour imaginer quinze habits différents. De nombreux aspects de son travail évoquent l’enfance, comme si ces costumes devenaient des refuges, des cabanes, des façons de se transformer et de jouer ensemble. 

 

Propos recueillis par Vanessa Asse en février 2025