Prélude de Pan est inspiré d’une nouvelle de Jean Giono. Comment est née l’idée de cette forme ?
Le Prélude de Pan est né en 2021 d’une rencontre entre le territoire rural du Théâtre de Bécherel – alors piloté par l’École Parallèle Imaginaire créée par Simon Gauchet –, le festival des Tombées de la nuit, et le travail que nous menions sur les textes de Jean Giono avec Romain de Becdelièvre. Lorsque Claude Guinard, alors directeur des Tombées de la nuit, nous a invités pour réaliser une étape de travail de Que ma joie demeure, spectacle fleuve que nous étions en train d’écrire et que nous avons présenté à Avignon en 2023, seulement trois des acteurs et actrices de l’équipe étaient disponibles. Plutôt que de décliner la proposition, nous avons décidé de faire un pas de côté par rapport à la création en cours, et d’avancer sur un autre chemin, qui nous a conduits presque sans le vouloir à l’élaboration de cette petite forme. Ce qui m’importait alors, c’était d’explorer par le théâtre les milieux vivants dans lesquels nous sommes immergés et qui nous font vivre, d’élargir la catégorie de « l’intéressant ». Est-ce que le monde vivant arpenté par les spectateurs peut devenir le sujet même du spectacle et non plus seulement son décor ? Est-ce qu’on peut tenter de repeupler notre imaginaire de ces autres formes de vies qui fabriquent le monde et le rendent vivable ? Nous avons choisi cette nouvelle de Jean Giono parce qu’elle nous fait plonger dans ces questions en quelques pages et sous la forme du conte, en même temps qu’elle creuse en nous quelque chose d’énigmatique et d’obscur, de fantastique et de philosophique.
Pouvez-vous nous parler de l’adaptation du texte ?
Le Prélude de Pan est un conte étrange, qui fait le récit à la fois apocalyptique et extatique de noces entre hommes et bêtes, à l’occasion d’une fête votive. Nous avons décidé d’emblée, Romain et moi, de profiter de ce texte court pour tenter de l’hybrider avec d’autres paroles, contemporaines, recueillies sur place. La question des « hybrides » est d’ailleurs présente dans le texte et elle est devenue un fil rouge du montage. Nous avons repris notre travail d’enquête documentaire, commencé au tout début de notre approche de l’univers de Jean Giono. Qui sont les héritiers de ses personnages ? Qui sont ceux qui se disent « paysans » aujourd’hui ? Que nous reste-t-il de ces récits de la terre ? Pendant une semaine, nous avons enregistré le jour et monté le soir les témoignages recueillis. Chaque fois que nous avons rejoué cette forme depuis, nous avons recommencé ce travail de collecte sonore et réinventé la façon dont ces paroles pouvaient, dans le spectacle, se mêler au texte de Giono.
Quelle forme prend le spectacle ?
Le Prélude de Pan prend une forme similaire à celle de Que ma joie demeure : cette petite création nous a – en un sens – servi d’entraînement ; on y retrouve le principe de la déambulation, qui commence cette fois plus souvent au cœur d’un village pour s’aventurer dans des zones de plus en plus agricoles, voire sauvages – quand il en reste ! On y retrouve même une scène importante de Que ma joie demeure. Mais cette fois, le montage du conte et du documentaire est plus assumé, moins lissé par un récit continu. La marche entre les différentes scènes, la présence, lors des représentations, de ceux qui nous ont prêté leurs voix, la circulation poétique et concrète de ces dons réciproques, in situ, donne au projet une dimension collective, inattendue et élargie : reliant une langue, une matière littéraire, un territoire, une terre, des paysages, et ceux qui le fabriquent – humains et non humains.