Entretien

Avec Eve Lombart, Administratrice du Festival d’Avignon

En quoi consiste le métier d’administratrice ? Pourquoi la question environnementale fait-elle partie de vos attributions ? Comment l’abordez-vous ?

Mon métier est de mettre en œuvre le projet du Festival sur le plan financier, juridique, administratif et des ressources humaines. À ce titre, je mesure l’impact financier de la problématique environnementale du Festival sur son organisation. Cette réflexion est présente dès 2010, année de son premier bilan carbone et de la création de sa charte environnementale et a été renforcée lors de la signature de la Charte Éco-festival avec la ville d’Avignon, le Grand Avignon et Avignon Festival et Compagnies (AF&C). En 2014, il a fondé avec d’autres festivals un collectif des festivals écoresponsables et solidaires en région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur (COFEES), regroupant aujourd’hui seize structures. Ce réseau d’échange et de pratiques propose des actions innovantes et concrètes en matière environnementale et sociétale, permet à des structures de mutualiser leurs ressources, de mettre en place des actions communes, de faciliter la faisabilité de projets évènementiels écoresponsables et d’être plus fort à l’échelle d’un territoire - notamment dans le dialogue avec les pouvoirs publics. Les agents culturels ont fait depuis longtemps le constat que les grandes manifestations sont énergivores. Pour le Festival d’Avignon, la question se pose en termes organisationnels, externes et internes. Il s’agit par exemple de faciliter les déplacements collectifs du public en intervenant sur le covoiturage ou de mobiliser les compagnies programmées en les invitant à développer de meilleures pratiques. Le Festival d’Avignon cherche donc à modéliser de nouvelles manières de travailler afin de réagir à l’urgence climatique à son échelle. À terme, nous espérons que ces changements auront un impact modélisateur sur ses interlocuteurs comme les publics, les salariés, les compagnies, la presse, les partenaires, les institutions…

Comment cette problématique environnementale se traduit-elle pour les équipes et dans les services rendus ? Quelle est son coût ?

Si nous prenons l’exemple de la canicule qui est un phénomène extrême et qui nous touche de plus en plus régulièrement et de plus en plus fortement : elle est terrible pour les équipes du Festival. L’année dernière en 2019, nous avons atteint la limite de ce que nous pouvions organiser en termes de soutenabilité des températures (pour les employés qui travaillent sous ses chaleurs et qui décalent leur horaire, mais aussi pour le matériel qui n’est pas conçu pour de telles variations). L’impact climatique a donc des conséquences réelles et sérieuses sur le Festival. Cette problématique environnementale se répercute à tous les niveaux de son organisation et de son accessibilité. Le transport, donc la réduction des gaz à effet de serre, est questionné à l’endroit du public par les services d’accueil et de communication, par la production pour les déplacements des artistes, par les ressources humaines pour ceux des personnels, par la technique pour les décors et le matériel entre les lieux de stockage et de représentation... Chaque service participe à la mise en place d’actions durables dans l’organisation personnelle et collective du travail. Ces transformations ont un coût et nécessitent de faire des investissements. En 2019, le Festival d’Avignon a supprimé différents supports de communication à hauteur de 34 000 exemplaires, soit environ 1,8 tonne de papier. À terme, de nombreuses charges devraient donc disparaître. Pour l’instant, elles font encore l’objet de transferts de dépenses. La réduction des impressions est compensée par le développement d’une application qui permet d’avoir accès à la programmation, à des contenus et à des services nouveaux. Le numérique est énergivore mais aujourd’hui il est fondamental de mettre en place des solutions adaptées aux logiques de bonne gestion dans le temps de nos ressources environnementales pour atteindre la neutralité. Notre devoir, c’est l’équilibre.

Comment le Festival associe le public à cette démarche ?

La démarche environnementale du Festival l’engage dans une action durable mais aussi solidaire, sociétale, car notre mission est d’ouvrir nos portes au plus grand nombre. Nous travaillons avec les publics dans plusieurs directions : l’inclusion à travers notre politique de recrutement saisonnier ; l’accessibilité et la prise en compte du handicap (boucles magnétiques, traductions en langue des signes française, documents adaptés aux difficultés de lecture, audiodescription…) ; et la responsabilisation. Dès cet été, nous allons inciter le public à adopter des habitudes écoresponsables comme anticiper ses déplacements et favoriser les transports doux ou en commun ; se restaurer en préférant les établissements favorisant le circuit court ; supprimer le plastique à usage unique en incitant à l’utilisation de gourdes, boites alimentaires et couverts recyclables ; acheter en privilégiant les entreprises locales ; limiter l’utilisation du papier en téléchargeant l'application mobile du Festival ; participer au recyclage des déchets…

Disposez-vous des outils et moyens nécessaires pour développer et pérenniser cette politique ? Pensez-vous mettre en place un budget éco-orienté comme il existe des budgets prenant en compte l’égalité des genres ? Vos partenaires favorisent-ils le positionnement écoresponsable du Festival ?

Tout ne dépend pas de nous mais nous travaillons à réinventer nos tâches. Nous avons mis en place une comptabilité analytique qui identifie nos dépenses « développement durable » et mesure l’impact économique de notre réorganisation. Je ne serais pas étonnée de voir cette façon de budgétiser apparaître prochainement dans les conditionnalités de financement imposées par les pouvoirs publics. Pour l’instant, hormis celle des équilibres sociaux, aucune contrainte est prévue au niveau national dans les critères d’attributions des subventions comme cela peut exister au niveau européen. De notre côté, nous incitons les artistes, les personnels et les publics du Festival à de meilleures pratiques, mais les échéances prévues par la loi, elles, sont lointaines. Il faut que des acteurs puissants prennent des dispositions particulières pour les réduire. C’est ce que fait le Festival en se dotant de nouveaux outils et en demandant à ses prestataires de privilégier certaines approches économiques, environnementales et sociales ou de respecter des normes ISO, notamment en matière de Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE). Il s’agit de créer un cercle vertueux, d’inventer des propositions alternatives écoresponsables. Nous avons demandé par exemple à nos fournisseurs de ne plus proposer d’aliments sucrés et suremballés dans les distributeurs automatiques disposés sur les lieux du Festival. Un changement qui a un coût mais répond à une urgence, une problématique, créé des débouchés en circuit court, diminue les déchets et va dans le sens d’un changement collectif de nos habitudes de consommation.

Propos recueillis par Francis Cossu, début avril 2020