Dès votre arrivée, le Festival d’Avignon a investi le numérique et ouvert la voie à de nouveaux modes de productions de contenus, de nouvelles façons de dialoguer avec son public. Quel est le sens de cet engagement ?
Le Festival se situe toujours à un endroit d’exigence populaire. Cela implique qu’il ne doit jamais baisser la garde sur les contenus et les proposer à tous. Dès 2014, nous avons utilisé et construit des outils numériques pour rester en dialogue avec les non-publics - je pense aux 15-30 ans. Il y a eu un travail actif de terrain avec des projets comme les « jeunes reporters culture » formant aux reportages culturels des jeunes de toutes origines et des quartiers d’Avignon, leur apprenant comment utiliser les outils numériques pour prendre la parole. Cette immersion active les plonge dans un monde à côté duquel ils vivent sans le connaître et leur rappel que le Festival existe chaque été aussi pour eux. Cofondateurs de la French Tech Culture, nous avons mis en place un cadre innovant donnant au Festival d’Avignon un fort pouvoir d’attractivité auprès des acteurs de la production numérique, et ce de par le monde. Nous nous sommes également associés au projet des Micro-Folies, réseau d’espaces culturels et numériques piloté par La Villette (Paris). Nous transmettons aussi une expérience du Festival d’Avignon en diffusant des spectacles ou des supports audiovisuels au service de la pédagogie grâce au réseau Canopé. Tous ces contenus de tous formats, témoignages de la scène ou créations pour Internert s’adressent aux amoureux du spectacle et vont également à la rencontre de publics n’ayant pas accès au Festival pour des raisons économiques, médicales ou géographiques. Ces projets font que nos équipes sont toujours dans l’étude, la recherche, l’expérimentation de l’alliance de ces très anciens médias que sont la danse ou le théâtre avec les nouveaux, ceci afin d’agrandir son périmètre d’intervention. Ce développement numérique a conduit le Festival à inventer une autre manière de travailler et un nouvel outil, Festival Expériences, un média qui diffuse des contenus créatifs et la mémoire du Festival.
Pourquoi avez-vous choisi de dissocier ce projet du mode de gestion associatif ? A-t-il été facile de trouver des investisseurs pour créer cette filiale du Festival d’Avignon ?
Le Festival n’avait ni les moyens humains, ni financiers pour recréer une nouvelle activité afin de valoriser son savoir-faire et sa marque, comme de les faire vivre au-delà de chaque édition. Nous avons décidé de nous doter d’un outil complémentaire et de créer une filiale du Festival d’Avignon, la société FXP - Festival Expériences, pour valoriser nos actifs immatériels et avec comme objectif aussi d’augmenter nos recettes propres. Si nous restons l’actionnaire majoritaire, nous avons la chance d’avoir à nos côtés deux actionnaires solides la Caisse des dépôts et consignations - au titre des Investissements d’Avenir - et le groupe Immobilier Fiminco, fortement mobilisé sur les questions culturelles. Était-ce facile ? Non. Il a fallu deux ans de négociations avec des banquiers, des juristes, pour faire la preuve du sérieux et de la faisabilité du projet. Nos financeurs ont décidé d’investir sur la marque Festival d’Avignon et sur une idée simple : rendre accessible les contenus du Festival d’Avignon et enrichir l’offre. Ils ont fini par nous faire confiance et partager avec nous ce pari d’une aventure entrepreneuriale et culturelle innovante. Nous avons associé à cette réflexion deux partenaires publics du Festival : la région Provence Alpes Côte d’Azur et le Ministère de la Culture. Avec eux, nous nous sommes demandés comment une association désintéressée pourrait avoir une filiale source de recettes propres nouvelles tout en restant dans les valeurs de mission d’intérêt général et de service public. Nos partenaires pensent comme nous que nous inventons quelque chose qui n’existait pas et que nous révélons et rendons accessible un patrimoine totalement inconnu, alors qu’il y a une demande significative des publics pour avoir accès différemment à la culture, y compris au spectacle vivant. Ils ont investi sur l’idée que la réputation du Festival d’Avignon pouvait donner envie aux spectateurs et aux non-spectateurs de partager une Classe d’Art d’une grande chorégraphe ou d’un grand metteur en scène, des captations, des reportages, des archives rares… Cette nouvelle proposition va permettre de dépasser certains blocages, comme celui de la distance qui ne sera plus un frein à l’accroissement de l’audience, notamment internationale, du Festival.
Dématérialisation des contenus créatifs, décentralisation grâce à l’itinérance et aux tournées : les expériences physiques et numériques du Festival ont toujours repoussé ses frontières. Quel est aujourd’hui son territoire ?
Pour une bonne partie, le Festival se déroule à l’intérieur des remparts et cette question territoriale est une vraie problématique. Avec Oliver Py et Agnès Troly, nous avons immédiatement décidé de jouer le plus loin possible des remparts, d’élargir le territoire physique du Festival en jouant dans plus de lieux, plus de quartiers mais aussi plus de villages. Nous avons aussi investi les territoires des non-publics à travers l’action éducative et culturelle. Avec La FabricA, qui a profondément changé l’identité du Festival, nous disposons d’une maison à partir de laquelle construire des passerelles avec le public et les générations. Désormais, avec nos projets et grâce à cette offre, le Festival a aussi un véritable territoire numérique, c’est à dire un espace de dématérialisation et de partage d’une partie de ses pratiques à travers de nouvelles formes d’expériences individuelles ou collectives. Ce qui est passionnant, c’est que ce territoire ouvre des champs nouveaux. Il permet de dialoguer différemment avec les publics en proposant des formats inhabituels. Il oblige le Festival à adapter son pouvoir de convocation du public, à imaginer de nouvelles formes d’assemblées, pour augmenter sa communauté et rendre sa mémoire vive accessible au plus grand nombre.
Propos recueillis par Francis Cossu le 2 avril 2020