« Avec ce récit, je descends dans la mort. » Cassandre-la-Troyenne est lucide. Vaincue par son destin, il ne lui reste qu'une heure à vivre. Elle sait que la malédiction d'Apollon l'empêche d'être entendue. Elle a appris que les mots meurent eux aussi. Qu'importe, elle continuera à parler. Mais elle n'essayera plus de convaincre les hommes de la détresse qui les attend. Le temps des prédictions est terminé. Alors elle se raconte avec une absolue liberté, sans rien masquer de ses douleurs d'enfance, d'aimante, de prisonnière, de femme. Elle ne veut pas devenir une héroïne. Dire non est son seul refuge. Longtemps Michael Jarrell a cherché un moyen d'adapter cette nouvelle de Christa Wolf qui rejoue le mythe en défiant la vision triomphante d'Homère-le-Grec. L'opéra lui résistait : « Il n'y a plus de raison de chanter », pensait-il. Il fallait donner une autre dimension à cette parole. Le compositeur convoque alors le dire-jouer-chanter, hérité de Schönberg, et percute le présent suspendu de Cassandre en multipliant les temporalités musicales, en superposant les textures instrumentales et électroniques. Une partition dont Fanny Ardant s'empare dans un double mouvement : s'abandonner en résistant. Car pour le metteur en scène, Hervé Loichemol, Cassandre en refusant l'imposture, n'est pas en état de liberté mais dans la conquête de celle-ci. Un état qui ici préside à la guerre.
Michael Jarrell étudie les arts visuels avant de se consacrer à l'écriture de la musique en se formant aux côtés des compositeurs suisses Éric Gaudibert, dont l'oeuvre est marquée par la perspective électronique, et Klaus Huber, pour qui la musique est une forme de réflexion sociétale. Entre 1986 et 1989, on le retrouve à la Cité des Arts, à l'Ircam et à la Villa Médicis. Compositeur résident à l'Orchestre de Lyon (1991-1993) et au Festival de Lucerne (1996), l'édition de Musica Nova Helsinki lui est entièrement dédiée en 2000. En 2001, après avoir reçu une commande du Festival de Salzbourg, il est nommé Chevalier des Arts et des Lettres, dernière distinction d'une carrière couronnée de prix. Après avoir enseigné à Vienne, il est nommé professeur de composition à la Haute école de musique de Genève, sa ville natale, en 2004. Héritière des avancées musicales post-sérialistes des années 1950, marquée par Giacometti et Varèse, sa conception du temps musical utilise la récurrence pour jouer du timbre sur l'organisation de la partition. Cassandre, qui intègre des sons électroniques dans l'orchestre traditionnel pour élargir le champ des sonorités et de la dramaturgie, est une des oeuvres majeures de son répertoire.
Actuel directeur de la Comédie de Genève, Hervé Loichemol commence sa carrière à Besançon avant d'intégrer le TNS en 1972. Sa rencontre marquante avec Jean Jourdheuil le pousse à mettre en scène un grand nombre d'auteurs de langue allemande, Lessing, Büchner, Kleist, Brecht et surtout Müller, qu'il monte à Sarajevo lorsqu'il s'engage aux côtés de personnalités suisses pour dénoncer les horreurs de la guerre en Bosnie-Herzégovine. Spécialiste du XVIIIe siècle, son théâtre d'action philosophique est marqué par une profonde réflexion politique.
Distribution
Texte Christa Wolf
Musique Michael Jarrell
Mise en scène Hervé Loichemol
Direction musicale Jean Deroyer
Scénographie et lumière Seth Tillett
Costumes Nicole Rauscher
Avec Fanny Ardant
et les musiciens du Namascae Lemanic Modern Ensemble : Marion Allain, Jean-Philippe Cochenet, Armelle Cordonnier, Jean-Marc Daviet, Pierre Fatus, Lucas Genas, Saya Hashino, Julien Lapeyre, Amandine Lecras, Luca Mariani, Nicolas Nageotte, Patrick Oriol, Jean-Marie Paraire, Madoka Sakitsu, Sylvain Tolck, Nicolas Vandewalle, Alessandro Viotti, Théotime Voisin
Production
Production Comédie de Genève
Coproduction Namascae Lemanic Modern Ensemble, Compagnie FOR
Avec le soutien de Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture