Ils entrent en scène habillés pour la ville, jeunes urbains anonymes. Quand ils laissent leurs vêtements, pliés en petits tas, ils endossent une autre pelisse, celle de la quasi nudité de leur corps enveloppé d'une simple couverture. Ils sont devenus d'autres jeunes hommes, d'autres jeunes femmes, tout en restant les mêmes. Mais ils ne sont plus protégés, ils ne sont plus beaux, ils ne sont plus rien. Rien que des gestes, des cris, mais aussi des claquements de dents, des tirages de langues, des clignements d'yeux, des froncements de sourcils, des basculements asymétriques de la tête, des allures de guingois, des démarches de travers, des chutes et des rechutes. Tous ces tics du corps recomposent une langue, celle des plus démunis : la langue des idiots, la grammaire du handicap, la bougeotte des simples d'esprit. C'est en passant par ce retour au stade premier du corps que les danseurs atteignent une forme suprême de virtuosité, où l'agitation fait système et la nervosité se mue en émotion. Dans cette pièce marquée par l'épure, Alain Platel, qui ne s'est jamais reconnu sous le titre de chorégraphe, retrouve pourtant ici le sens littéral du mot « chorée », terme médical qualifiant une affection du système nerveux, ayant pour symptômes des mouvements incontrôlés et une mauvaise coordination des gestes ou de la parole. Il retrouve également l'un des maîtres de la compréhension du monde autiste, Fernand Deligny, et transpose sur le plateau la richesse intérieure de ces comportements qui nous paraissent dictés par la folie. Ce regard est des plus subtils et précieux qui soient : les êtres qui nous sont donnés à voir ne seraient-ils pas affectés d'un mal qui nous ronge tous ? Ne seraient-ils pas les fragments d'une humanité qui se disloque, qui part à la dérive et ne parvient à se reconstituer que le temps d'un karaoké de vieux tubes usités ? Quand, enfin, ils abandonnent leur couverture, parure de naufragés ou cape de nouveaux pèlerins, et reprennent leurs habits, les danseurs et les danseuses des ballets C de la B redeviennent « normaux ». Ils nous paraissent cependant plus beaux, plus justes, car ils portent désormais sur eux l'empreinte de l'essentiel. ADB
Distribution
conception et mise en scène Alain Platel
dramaturgie Hildegard De Vuyst
assistanat à la mise en scène Sara Vanderieck
lumière Carlo Bourguignon
son et musique électronique Sam Serruys
costumes Dorine Demuynck
créé et dansé par Elie Tass, Emile Josse, Hyo Seung Ye, Kaori Ito, Mathieu Desseigne Ravel, Mélanie Lomoff, Romeu Runa, Rosalba Torres Guerrero, Ross Mc Cormack
Production
production les ballets C de la B
coproduction Théâtre de la Ville-Paris, Grand Théâtre de Luxembourg, TorinoDanza (Turin), Sadler's Wells (Londres), Stadsschouwburg Groningen, Tanzkongress 2009/Kulturstiftung des Bundes, Kaaitheater (Bruxelles), Wiener Festwochen (Vienne)
avec le soutien des Autorités flamandes, de la Ville de Gand, de la Province de la Flandre-Orientale