Et si la littérature n'était pas seulement une histoire, un envoûtement, une confession, une langue, un style, un rythme... mais aussi une pensée ? À quoi ressemblerait-elle ? Ni philosophique, ni politique, ni esthétique, ni conceptuelle, mais peut-être plusieurs petits fragments de chacun de ces savoirs remodelés dans tous les sens. Le lien entre poésie et philosophie, roman et pensée n'a cessé d'être exploré. Le philosophe Gilles Deleuze (1925-1995), par exemple, expliquait que la littérature pensait par « affects » et par « percepts », ces perceptions et sensations qui survivent à ceux qui les éprouvent, alors que la philosophie recourait, elle, aux concepts. « Le métier du philosophe c'est de faire des concepts, le métier de l'artiste c'est de faire des percepts », résumait-il. D'autres, comme Martin Heidegger (1889-1976), ont même souhaité faire disparaître la philosophie au profit de la poésie, selon eux mieux placée pour penser et, parfois même, sauver le monde. Ainsi la littérature n'est pas seulement une affaire de divertissement, d'intertextualité, de recherche formelle, de fiction autocentrée, mais un outil essentiel pour nous aider à résoudre nos problèmes de vie, ainsi qu'une « voie d'accès, qui ne pourrait être remplacée par aucune autre, à la connaissance et à la vérité », explique par exemple Jacques Bouveresse. A quoi pensent les écrivains ? Et à quoi pense la littérature du temps présent ? Sans doute à la contingence, au langage managérial, aux nouveaux mondes urbains et au nouveau désordre mondial, lorsqu'elle quitte la mise en scène de soi et du moi afin d'explorer les arcanes du contemporain. Un dialogue à propos d'un art qui, comme le cinéma, ne cesse d'inventer des formes qui donnent à penser.