Quelle poétique et politique de la frontière ?

Qu'est-ce qu'une frontière, au moment où le monde oscille entre la disparition des limites territoriales par le réseau médiatique global et la construction de barbelés pour mieux se protéger des flux migratoires ? Qu'est-ce qu'une pensée d'exilés ? Comment représenter l'histoire et l'actualité des migrations ? Depuis longtemps impliqué dans l'art vivant, l'historien Gérard Noiriel s'est récemment interrogé sur les impasses et les conditions de possibilité, pour un théâtre politique, de décrire la situation des populations déplacées, ou d'écrire des nouveaux dialogues d'exilés. Ceux qui s'opposent aux politiques migratoires répressives aujourd'hui en vigueur oscillent parfois entre deux attitudes. L'une, d'inspiration marxiste, consiste à considérer les immigrés exploités comme l'armée de réserve du capitalisme. L'autre parle d'un retour aux lois d'exception telles que le pratiquait le gouvernement de Vichy. Pour Michel Feher, il s'agit de dépasser ces deux lectures, car c'est au nom d'une société « ouverte » et métissée que l'on filtre les étrangers aux frontières, prétendument porteurs de cultures et de pratiques « barbares ». C'est au nom de la lutte contre les patrons-voyous qui abusent des travailleurs sans-papiers que l'on érige un monde en barbelés. L'idéologie est davantage celle de la culture du résultat, qui s'empare de tous les domaines de la vie sociale. La « politique du chiffre » serait ainsi la marque de fabrique du pouvoir actuel, et pas seulement en matière d'immigration. Un dialogue destiné à traverser les frontières, non seulement nationales, politiques ou sociales, mais aussi psychologiques, philosophiques et culturelles.  

Avec Michel Feher philosophe
Gérard Noiriel historien