Anathème

Le parcours théâtral de Jacques Delcuvellerie est intimement lié à celui du collectif Groupov, qu'il a fondé en 1980. Basé à Liège, ce collectif réunit des artistes de nationalités et de pratiques différentes, acteurs, metteurs en scène, vidéastes, performers qui remettent en permanence en question la représentation, dans ses formes, dans sa nécessité. Mêlant recherche expérimentale pure (par exemple, leur travail en forêt) et la présentation de spectacles, le Groupov s'est aussi parfois confronté au répertoire (Claudel, Brecht, Müller), pour tenter de trouver une vision représentable du monde qui ne soit pas obligatoirement celle de ceux qui le dirigent et l'écrasent. Troublé par le silence assourdissant, les mensonges, la désinformation qui a entouré l'horreur du génocide rwandais, tant en Belgique qu'en France, le Groupov a proposé de rendre au théâtre ce pouvoir incroyable d'être le corps et la voix de ceux qui ne sont plus et de ceux qu'on ne veut pas entendre. Quatre années de travail pour un spectacle, Rwanda 94, qui structure les témoignages, les images, la musique, les chants et la littérature en une tentative de réparation symbolique envers les morts à l'usage des vivants. Présenté au stade d'une étape de travail au Festival d'Avignon en 1999, Rwanda 94 a depuis voyagé à travers le monde et au Rwanda même.


C'est à un retour vers un des piliers de la civilisation occidentale que nous invitent Jacques Delcuvellerie et son équipe artistique Groupov, un retour au “Livre”, à la Bible et plus particulièrement à l'Ancien Testament. Depuis que la parole divine a été révélée à Moïse et aux prophètes, elle a servi à interpréter des événements, à structurer des États, à justifier des politiques, entreprendre des guerres, coloniser et soumettre des peuples entiers sur tous les continents. Aujourd'hui encore, elle sert de prétexte aux évangélistes conservateurs américains pour justifier par exemple leur lutte contre l'étude du darwinisme dans les écoles, pour engager la croisade contre les États de l'axe du Mal, pour justifier le raz-de-marée qui a dévasté une partie de l'Asie comme une vengeance de Dieu contre des pays et des hommes qui vivent dans l'immoralité et la débauche... Face à ce déferlement, n'est-il pas temps de se reposer la question de la façon dont l'homme fabrique de la croyance ? Ne faut-il pas oser se demander si un lien privilégié n'unit pas le monothéisme et les tentatives sanglantes d'introduire des mesures “absolues” dans la contingence humaine ? Articulation que le Groupov a déjà auscultée dans son précédent spectacle Rwanda 94. Ne faut-il pas revenir aux mots mêmes du Livre pour tenter non de répondre de façon définitive à ces deux questions mais d'éclairer une démarche de questionnement ? Travaillant uniquement sur un corpus de textes bibliques où Dieu se présente soit comme le grand exterminateur direct (épisode du déluge dans la Genèse, par exemple), soit comme le commanditaire exigeant l'extermination (épisode du roi Saül massacrant la totalité des Amalécites), Jacques Delcuvellerie veut faire entendre d'abord la parole de ce dieu exclusif, et rien que sa parole. Utilisant le corps et la voix des acteurs, un espace sonore et des images qui puissent faire écho à la force et à la violence des propos, il veut faire en sorte que le théâtre soit le lieu de ce questionnement qui a presque déserté notre quotidien au moment où le “sacré” réapparaît de plus en plus présent dans les conflits à répétitions que connaît notre monde perturbé.

Mise en scène : Jacque Delcuvellerie
Interprétation : Abdel Bellabiad, Amandine Carlier, Laurent Caron, Marc Defrise, Françoise Fiocchi, Bernard Graczyk, Vincent Hennebicq, Francesco Italiano, Gilbert Letawe, Maryse Limbert, Elise Levron, Fabrice Murgia, Denis Mpunga, Charlotte Renwa, Laura Sepul, Maurice Taszman, Michèle Vgairginsky, Micheline Zanatta
Récitants : Jeanne Dandoy, Carole Karemera, Francine Landrain, Julien Roy, Maurice Sévenant, Alexandre Trocki
Chanteuses : Julie Bailly, Magali Delmaë, Eva Oltivanyi
Composition musicale : Garett List, Jean-Pierre Urbano
Dramaturgie : Marie-France Collard
Assistant à la mise en scène : Nathanaël Harcq
Recherches et documentation : Marie-France Collard, Cécile Michel, Philippe Taszman
Scénographie : Johan Daenen
Costumes : Greta Goiris
Conception sonore : Jean-Pierre Urbano
Lumières : Marc Defrise, Frédéric Vannes

Production : le Groupov
En coporoduction avec : le Théâtre National, le Festival d'Avignon, le KunstenFESTIVAL desArts et le Théâtre de la Place
Avec le soutien : de Théâtre et Publics, du CGRI et de l'AWEX