Avignon 93

La conception d'un Festival - sa programmation - est le fruit du hasard et de la nécessité. L'intuition d'origine, l'idée maîtresse qui constituent le premier élan des recherches, des prospections, des projets, est ensuite confrontée à de multiples contraintes: temporelles, financières, techniques...

Cela force la rationalité à la modestie. Une programmation ne peut avoir la cohérence d'une table des matières, d'une démonstration conclusive. Et c'est finalement tant mieux. Car, nul spectateur de bonne volonté ne peut prétendre en fait, à tout voir, ou à tout lire. Surtout à Avignon, dont le paysage urbain est si souvent éclaté, multiple, voire brouillé.

L'exposé d'une programmation n'est donc pas une carte routière. Mais sa lecture donne quand même une couleur d'ensemble, une tonalité qui rapprochent les projets, explicitent les choix de spectacle.

Ce 47ème Festival souhaite mettre notre siècle en perspective. Il répond au besoin de mieux connaître notre théâtre contemporain. Il est l'écho de ce que je retiens de tant de conversations avec les artistes du vivant. Un désir de revenir aux proches sources de la scène, un regard en arrière - ni désabusé, ni ironique - sur les avant-gardes du siècle; symbolisme, surréalisme, pensée sociale, etc...

Après Dom Juan, l'un des rares classiques présentés dans le Festival (et dont Jacques Lassalle souligne la facture moderne) la plupart des œuvres, présentées dans de nouvelles mises en scène, sont du XX° siècle.

Beaucoup de productions, (du moins je l'espère, car il faut rappeler à notre public que le Festival se bâtit sur des projets, des ébauches, des envies, et non sur la sélection de spectacles déjà construits) devraient témoigner du souci apporté à l'essence même du théâtre: des textes, des compositions interprétées par des acteurs, des danseurs, des musiciens même. Les effets d'image, de décoration, de "spectacularisation" passent à l'arrière-plan. Il y a plutôt recherche de manifeste, de reconstruction, de pulsion fraîche : pour un nouvel humanisme, un besoin de collectif qui ne passe pas d'ailleurs par le didactisme ou le politique, mais plutôt par la poésie.

Il y a aussi, je l'ai très fortement souhaité, une attention au monde, à ses zones de troubles ou de conflits. La pensée slave, le vent d'Est seront notamment présents dans plusieurs spectacles.

Le vrai dessin (dessein) du Festival n'apparaîtra qu'à sa fin : lorsque se seront consumées sur le plateau les énergies des acteurs, se seront manifestées les réactions du public, aura reposé le tumulte brouillon de la ville-théâtre.

Ce programme a été concu pour mieux lire l'architecture du Festival. Comme un journal-guide. C'est pourquoi la rédaction des notes de présentation des spectacles est homogène, et que le spectateur-lecteur pourra ainsi mieux suivre les correspondances, les relations entre les œuvres et leurs auteurs.

Le public est le premier capital du Festival, sa raison d'être ultime. Il n'a jamais été traité, à Avignon, de manière démagogique ou racoleuse. Je souhaite qu'il participe plus que jamais, à faire émerger et reconnaître les courants poétiques, les préoccupations artistiques de notre époque. Nous en avons tous besoin.

Bernard Faivre d'Arcier

du 9 juillet au 2 août 1993

Nous remercions l'équipe BNF (Bibliothèque nationale de France) de la Maison Jean Vilar pour le versement des données de la période 1947-1998.

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