Reconnaissance à la Provence
Pour un homme que les hasards de son métier mène désormais de villes en villes, de pays en pays, de villages en villages, de banlieue en banlieue, il reste le souvenir de lieux que la mémoire amoureuse conserve mais que la plume ne parvient pas toujours à décrire: lieux où l'homme aime rencontrer l'homme, où le bonheur prend une coloration plus vive, où le travail et la vie quotidienne roulent leur écheveau dans une sorte de musique heureuse. Là, une sorte de sagesse. éparse et permanente, qui vient et de l'arbre et du ciel et de l'eau, rappelle à l'homme que la vie n'est ni un enfer, ni un paradis et que le rythme et le but de cette vie ne sont pas le mouvement pour le mouvement, mais une façon d'écouter les autres, de vivre avec les autres, de plaisanter avec les autres, d'écouter les bruits des champs, une musique, un comédien, un chanteur.
Bien des poètes, bien des voyageurs ont décrit la Provence. Et bien d'autres la décriront encore. Pour moi, languedocien et méditerranéen d'origine, il reste que la Provence et Avignon sont comme une patrie au cœur de ma patrie. Errer autour d'Avignon, s'enfoncer vers Manosque, descendre sur Aix, passer le Rhône, entrer en Villeneuve, rejoindre sous l'uniforme les casernes de Marseille, fut le passe temps de mes vingt ans.
Un jour, une folie (mais bien d'autres l'ont fraternellement partagée depuis) me fit faire ce Festival de Théâtre. Folie aimée, folie douloureuse parfois, folie du travail, nuits passées entre ces pierres, amitiés nouées, dénouées et renouées, costumes du passé, fanfares, querelles et amours, beaucoup de notre vie s'est passé désormais en ces lieux privilégiés de la Provence, en ces cours du Palais où nous avons réappris le théâtre et d'autres réappris à aimer cet art de la scène qui n'est fait, depuis toujours, que pour le plaisir de l'homme.
L'art du théâtre devra beaucoup désormais non pas uniquement à tel ou tel artiste, ni à tel auteur, ni à tel compositeur de musique. L'art du théâtre et de la musique devra une fois de plus beaucoup, en premier, à ce pays français de la Provence, ou Aix répond par Mozart au Corneille d'Avignon, Œdipe d'Orange au Brutus Nîmois
Jean Vilar
du 15 au 26 juillet 1953
Nous remercions l'équipe BNF (Bibliothèque nationale de France) de la Maison Jean Vilar pour le versement des données de la période 1947-1998.