Le rapport à autrui est essentiel pour faire société et la capacité des individus à comprendre l’état subjectif des autres est l’un des effets les plus spectaculaires de l’évolution humaine.
Mais éprouver de l’empathie pour l’autre, comprendre ses sentiments ou ses croyances, se comprendre soi-même, nécessitent le développement de la fonction réflexive des individus. La littérature de fiction ou le théâtre, en suscitant une multiplicité d’interprétations possibles, en ouvrant sur d’autres états de conscience, contribuent au développement de la capacité à prévoir et interpréter les états mentaux d’autrui.
Discerner l’intention qu’elle réalise, les valeurs qui l’orientent, les décisions ou les actions qu’elle met en pratique… chaque pensée ou action des personnages de fiction nous offre une participation par procuration.
1- Amour et catastrophes
Avec Françoise Lavocat, professeure en littérature comparée, Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, membre sénior de l’Institut universitaire de France (coordinatrice du projet ANR HERMES)
Un raz-de-marée engloutit un continent, une épidémie ravage un peuple entier… Au milieu du chaos, retrouver l’être aimé devient la raison de lutter et de vivre. Du moins dans les fictions, les romans baroques du XVIIIe siècle ou dans les films. Si les récits historiques de catastrophes racontent la destruction des rapports humains, familiaux ou amicaux, la fiction montre l’héroïsme, le dévouement de l’amant pour retrouver sa promise. Les différentes formes d’attachement sont en concurrence, il faut préserver « l’essentiel de l’humain au cœur du désastre ».
2- La fiction comme expérience cognitive, simulations mentales et résonnances corporelles
Avec Tatjana Nazir, directrice de recherche au CNRS en sciences cognitives, membre du laboratoire langage, cognition et cerveau de l’Institut pour les sciences cognitive (coordinatrice du projet ANR Cog-Hulice)
Les actions d’autrui, que celles-ci soient réelles ou simplement décrites verbalement, suscitent une résonnance chez l’observateur. Nos mouvements, nos postures implicites ou explicites affectent nos états émotionnels. Les récits déclenchent des simulations mentales, lire de la fiction peut aussi affecter nos états cognitifs et affectifs ; plus encore la force des simulations induites dépend des formes stylistiques. Ces travaux en neurosciences cognitives ouvrent des perspectives sur l’étude du rôle potentiel de la fiction littéraire dans le développement cognitif et affectif, mais aussi sur les liens entre langage, motricité et cognition.
3- L’invention de l’espace corporel intime
Avec Georges Vigarello, historien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales
Les émotions semblent exister hors du temps. Rien de plus historique pourtant. La colère, la pitié, la tristesse, la joie, les sentiments changent de nuances et d’objets avec l’époque. Le spectre émotionnel du chevalier médiéval n’est pas celui d’un courtisan de la société classique ou des rencontres sur internet. L’émotion comme la perception sont le fruit d’apprentissages culturels.
Le corps éprouvé devient peu à peu inséparable de la conscience de soi, l'observation intérieure devient condition de l’expression et de la réception esthétiques.