Ce dont l’homme a le plus besoin, c’est de destin, et la politique est poétique quand elle ouvre pour tous des possibilités nouvelles, particulièrement pour ceux dont le destin a été nié. Mais qui répond au besoin de destin intime, intérieur, secret ? C’est le poétique qui devient politique quand il agit sur le désir, le transforme, lui donne forme, le rend légitime, enviable, et possible.
Voilà ce que devrait être la Culture, non pas un grand musée mémoriel et nostalgique, mais le lieu même d’une effraction du possible. Le spectateur devrait pouvoir applaudir une représentation en recueillant en lui des forces nouvelles et prophétiques. Dans l’idéal, il faudrait quitter le théâtre en se disant que demain sera différent, que c’est le premier jour de la seconde partie de sa vie, parce que notre désir a été transformé, parce que notre besoin de vie plus digne, plus juste, plus ouverte a été confirmé.
La vérité d’une œuvre d’art spectaculaire a lieu le lendemain et le surlendemain, elle peut s’amenuiser et disparaître, mais elle peut aussi grandir, créer un désir de vie plus large, accompagner une vie entière, épauler des combats, conforter des rêves nouveaux. Tout commence donc par une représentation, et ce tout qui commence, nous lui appartenons bien plus que nous n’appartenons à nos inquiétudes.
On dit souvent et à juste titre que le Festival est une utopie. Il faudrait ajouter qu’elle est vérifiée chaque année, vécue, accomplie. Le Festival depuis sa création est une utopie qui invite d’autres utopies, artistiques d’abord mais aussi intellectuelles, politiques et sociales. Cette utopie n’est pas seulement la constitution pour un mois d’une cité magique entièrement enfiévrée par l’art et la pensée, mais aussi la réunion de ceux qui se souviennent de l’avenir et y croient. Et quand les idéologies n’en sont plus capables, il reste cette folie folle de l’art et du poème, qui sont là en dépit de toutes les décourageantes exactitudes.
On ne peut rien affirmer quant à l’avenir, on peut espérer. « Que sommes-nous en droit d’espérer ? » me semble une question toujours présente dans une œuvre d’art. Si imparfait et inquiet soit-il, l’art devrait malgré tout être une forme d’Espérance. Sinon il n’est qu’une décoration de notre défaite.
La réunion d’Avignon une fois par an nous donne envie de combattre, nous apprend à nous souvenir qu’une vie ne peut s’enfermer dans un présent narcissique ou dans un passé d’amertume. À Avignon, tout le monde a droit à la jeunesse car il ne s’agit pas de biologie mais de capacité à désirer ce qui vient, l’inconnu, l’imprescrit, l’inattendu, l’inespéré.
La communauté d’esprit qui se réunit à Avignon ne sépare pas le public des artistes, elle est la possibilité pour toutes et tous de participer à l’utopie. Et c’est la République, qui n’organise pas un mécénat d’État mais garantit l’espace et le temps d’une rencontre libre, où forces intellectuelles et spirituelles s’expriment dans et par les spectacles. Cette expérience collective participe au sentiment d’appartenance à la société et à l’Histoire.
Être un festivalier implique de croire au nouveau, non pas comme produit commercial ou objet de mode, mais comme une valeur commune, partagée et gratuite. Croire que quelque chose de nouveau peut naître et que nous y participons, c’est cela l’utopie que nous nous offrons les uns aux autres, artistes et techniciens, spectateurs et commentateurs de ce grand théâtre à géométrie infinie.
Quelque chose dans la société, dans la politique, dans le murmure du temps nous fait croire que demain est prémédité. Par contre, la folie artistique, l’enthousiasme paradoxal des foules, la catharsis joyeuse nous invitent à croire que demain n’est pas écrit. Et puisque la génération la plus jeune est confrontée au plus grand danger que la terre ait connu, nous devons l’assurer qu’en dépit de tous les découragements, tous les doutes et toutes les démissions, la page est encore blanche, la forme de l’avenir est celle d’un désir commun, mais qui commence dans la vie intérieure de chacun.
- Olivier Py
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