avec
François Cusset historien des idées
Charlotte Nordmann philosophe
“Notre héritage n'est précédé d'aucun testament”, écrivait le poète René Char dans Feuillets d'Hypnos (1943-1944) au moment où l'Europe était plongée dans les sombres temps de l'Occupation et du nazisme. De cet étrange et abrupt aphorisme, la philosophe Hannah Arendt tira une pénétrante réflexion sur la crise de la culture, sur la façon de passer le témoin entre les morts et les vivants, de conjuguer tradition et modernité. Nos temps sont heureusement bien moins tragiques. Eloignés des guerres qui se vivent par procuration devant les écrans de télévision, les jeunes Européens vivraient même selon certains dans une époque “post-historique” où seraient à jamais bannis et enfouis les temps héroïques des grandes luttes politiques. Qu'ils soient intégrés ou désœuvrés, orphelins ou héritiers de la génération des “héritiers” (nom donné aux étudiants des années 1960 fortement dotés en “capital culturel”, comme l'avait dévoilé la sociologie de Pierre Bourdieu), les nouvelles générations seraient devenus amnésiques, plongées dans un présent perpétuel et permanent, dilapidant l'héritage dans l'immense supermarché de notre nouveau monde marchand. Pourtant, il y a encore des jeunes gens “assez passionnés pour déserter les perspectives balisées qu'on veut leur faire prendre pour la vie”, comme l'écrit Annie Le Brun. Mais la donne a changé : pour la première fois depuis 1945, la nouvelle génération est peu assurée de connaître un meilleur avenir économique et social que celle qui l'a précédée. Au point qu'une “fracture générationnelle”, écrit le sociologue Louis Chauvel, gangrène une société sans projet et sans place faite aux impétrants. Au moment où la “génération 68” passe le témoin à une autre, deux héritiers des luttes passées et spectateurs engagés des combats présents tenteront de lancer quelques salves d'avenir.