C'est en 1956, sur la scène du Mark Ellinger Theater de Broadway, qu'apparaît pour la première fois la petite marchande de fleurs Eliza Doolittle que son mentor, le distingué professeur Higgins, veut transformer en lady en lui apprenant à parler le bel anglais de l'aristocratie. Aujourd'hui, Christoph Marthaler s'empare, en la décalant bien sûr, de cette émouvante histoire pour en faire un moment de folie musicale, imaginé pour la formidable troupe qu'il a réunie autour de lui. Si la syntaxe, la sémantique et la grammaire sont toujours au programme, c'est dans un laboratoire de langues, composé de petits box individuels hyperréalistes, que les héros marthalériens déclinent une nouvelle fois leur angoisse du temps qui passe, leur mélancolie désuète et leur si touchante solitude. Ils sont tous là pour, entre deux silences, faire leur numéro : chanter, seul ou en chœur, un moment de La Flûte enchantée, Douce nuit, Sainte nuit, les Scènes d'enfants de Schumann ou encore le tube de Wham!, Last Christmas. Car tout est possible dans l'univers de Christoph Marthaler : Karajan peut y croiser Frankenstein, la dégustation collective d'une pomme se transformer en véritable concert vocal, les exercices de diction se muer en un irrésistible comique de répétition. Par la grâce des chanteurs, acteurs et clowns qui le peuplent, ce laboratoire devient alors un jubilatoire espace de liberté, une désopilante rêverie sur la langue et le langage. JFP