En juillet 1845, Henry David Thoreau construit une cabane près de l'étang de Walden, à quelques miles de Concord, petite ville du Massachusetts où réside sa famille. Pendant deux ans, deux mois et deux jours, l'écrivain américain va se retirer dans ce lieu, y vivre en quasi autarcie, évoluant au contact quotidien de la nature qu'il étudie avec minutie. Neuf ans plus tard, redevenu « hôte de la vie civilisée », il publie, sous le titre Walden ou la vie dans les bois, le récit de son expérience. Un livre dans lequel il compile ses pensées, ses observations et ses spéculations, à la croisée du roman, du journal intime, de l'essai philosophique et de la revue botaniste. C'est de ce matériau inclassable que Jean-François Peyret a voulu faire la charpente de son nouveau spectacle, quittant les lieux de l'expérimentation scientifique pour rejoindre les espaces naturels chers à Thoreau. Mais si le metteur en scène s'aventure sur les chemins de Walden, ce n'est pas pour se faire le chantre d'une politique écologiste, mais bien pour faire du théâtre et continuer de réfléchir à ce qui l'intéresse le plus, à savoir les liens qu'entretiennent le vivant et l'artificiel. En confiant à ses comédiens certains passages de ce texte-fleuve, il fait entendre d'abord la langue d'un grand écrivain, tout en transformant la cabane d'origine en « une machine à écrire » qui produit elle aussi du texte. Un dialogue s'instaure alors entre l'homme et la machine qui génère des « bugs poétiques », dégradant ou augmentant la langue grâce à des procédés numériques, visuels et sonores. Comme toujours, l'humour grinçant de Jean-François Peyret donne à ce théâtre technologique une stupéfiante force vitale qui rejoint celle d'Henry David Thoreau, contestataire appelant à la désobéissance civile, critique virulent d'un monde aliénant. Et si ce théâtre faisant usage de machines était justement le lieu de la désaliénation ? JFP