"Par les villages", Handke, Nordey, extraits

Que jouer dans la Cour d'honneur lorsqu'on y est invité ? «Un grand poème dramatique », répond sans hésitation Stanislas Nordey en y proposant une nouvelle mise en scène de Par les villages, pièce qu'il considère parmi les plus essentielles du XXe siècle européen. Désireux de faire entendre, dans l'enceinte du Palais des papes comme partout ailleurs, le théâtre qu'il défend depuis toujours, c'est-à-dire un théâtre de la parole tel que le définit Pasolini, il a choisi l'oeuvre de Peter Handke, qui s'est imposée à lui comme « une vague emportant tout sur son passage, charriant aussi bien le monde, la famille, que l'espoir en l'art ». À partir des retrouvailles entre deux frères et une soeur à l'occasion de l'héritage d'une maison familiale, l'auteur autrichien dessine en effet une autre histoire. Celle d'un retour au pays natal, celle d'un passé qui, en resurgissant, révèle l'écart qui s'est creusé entre deux mondes : le monde rural des travailleurs, de ceux qui sont restés dans la demeure des parents, celui de Hans et de Sophie, opposé au monde urbain, à l'ailleurs où est parti vivre leur aîné, Gregor. Le monde des ouvriers face au monde des intellectuels. Pièce en partie autobiographique et revendiquée comme telle par l'auteur qui, en préface, précise aux acteurs : « C'est moi qui suis là », Par les villages déborde très largement le propos personnel pour embrasser les maux et la confusion de notre société et rappeler, en ces temps tourmentés, la nécessité impérieuse de l'art. Ici, les ouvriers parlent comme des poètes et la réalité est transcendée par la puissance de la parole, qui règne en maîtresse absolue sur le plateau. Metteur en scène mais aussi acteur, Stanislas Nordey se glissera lui-même dans la peau d'un des personnages centraux de la pièce, Hans, l'ouvrier. Il portera sa parole comme « une ode aux humiliés et aux offensés » qu'il lui importe plus que jamais de faire résonner. Pour l'accompagner dans cette aventure artistique, il a sollicité des acteurs qui composent avec lui une famille, celle qu'il a constituée au fil de ses projets : sa mère, Véronique Nordey, son frère de théâtre, Laurent Sauvage, et des fidèles compagnons de route, Emmanuelle Béart, Moanda Daddy Kamono, Raoul Fernandez et Richard Sammut, ainsi que deux nouvelles venues dans son univers, Jeanne Balibar et Annie Mercier. Solistes solidaires, ils feront un théâtre qui refuse ce que le philosophe Gilles Deleuze appelait « le terrorisme du signifié » pour faire entendre, au plus près de la parole de Peter Handke, le chant d'espoir d'un auteur qui affirme avec éloquence la force de la poésie et, par là même, celle du théâtre.